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grand et fort, et, malgré l’apparente complexité des moyens, très-simple. Ce n’est pas vulgaire malheureusement, mais ce défaut est de ceux que Votre Majesté pardonne, et le public de Paris commence à comprendre que la production des jouets sonores n’est pas le but le plus élevé de l’art. Permettez-moi donc, Sire, de dire comme l’un des personnages de l’épopée antique d’où j’ai tiré mon sujet : Arma citi properate viro ! et je crois que je prendrai le Latium.

»Je suis avec le plus profond respect et le plus entier dévouement, Sire, de Votre Majesté le très-humble et très-obéissant serviteur.

hector berlioz,

»Membre de l’Institut

»Paris, 28 mars 1858.»

Eh bien, non, je n’ai pas pris le Latium. Il est vrai que les gens de l’Opéra se sont bien gardés de properare arma viro ; et l’Empereur n’a jamais lu cette lettre ; M. de Morny m’a dissuadé de la lui envoyer ; «l’Empereur, m’a-t-il dit, l’eût trouvée peu convenable» ; et quand enfin les Troyens ont été représentés tant bien que mal, S. M. n’a pas seulement daigné venir les voir.

Un soir, aux Tuileries, je pus avoir un instant d’entretien avec l’Empereur, et il m’autorisa à lui apporter le poëme des Troyens, m’assurant qu’il le lirait s’il pouvait trouver une heure de loisir. Mais a-t-on du loisir quand on est Empereur des Français ? Je remis mon manuscrit à Sa Majesté qui ne le lut pas et l’envoya dans les bureaux de la direction des théâtres. Là on calomnia mon travail, le traitant d’absurde et d’insensé ; on fit courir le bruit que cela durerait huit heures, qu’il fallait deux troupes comme celle de l’Opéra pour l’exécuter, que je demandais trois cents choristes supplémentaires, etc., etc. Un an après, on sembla vouloir s’occuper un peu de mon ouvrage. Un jour Alphonse Royer me prit à part et me dit : «Le ministre d’État m’a ordonné de vous annoncer qu’on allait mettre à l’étude, à l’Opéra, votre partition des Troyens, et qu’il voulait vous donner pleine satisfaction.»

Cette promesse faite spontanément par Son Excellence ne fut pas mieux tenue que tant d’autres, et à partir de ce moment il n’en a plus, etc., etc. Et voilà comment, après une longue attente inutile et las de subir tant de dédains, je cédai aux sollicitations de M. Carvalho et je consentis à lui