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duc de Weimar m’a dit en me quittant, à la dernière visite que je lui ai faite : «Donnez-moi votre main, monsieur Berlioz, que je la serre avec une sincère et vive admiration ; et n’oubliez pas que le théâtre de Weimar vous est toujours ouvert.» M. de Lüttichau, l’intendant du roi de Saxe, m’a proposé la place de maître de chapelle de Dresde, qui ne tardera pas à être vacante. «Si vous vouliez (ce sont ses paroles), que de belles choses nous ferions ici ! avec nos artistes que vous trouvez si excellents, et qui vous aiment tant, vous qui dirigez comme si peu de gens dirigent, vous feriez de Dresde le centre musical de l’Allemagne !» Je ne sais si je me déciderai à me fixer ainsi en Saxe quand le moment sera venu... C’est à bien examiner. Liszt est d’avis que je dois accepter. Mes amis de Paris sont d’un avis contraire. Mon parti n’est pas pris, et la place d’ailleurs est encore occupée. Il est question de mettre en scène, à Dresde, mon opéra de Cellini, que cet admirable Liszt a déjà ressuscité à Weimar.

Certainement alors j’irais en diriger les premières représentations. Au reste, je n’ai pas à m’occuper ici de l’avenir et me suis peut-être trop appesanti sur le passé, bien que j’aie laissé dans l’ombre beaucoup de curieux épisodes et de tristes détails. Je finis... en remerciant avec effusion la sainte Allemagne où le culte de l’art s’est conservé pur ; et toi, généreuse Angleterre ; et toi, Russie qui m’as sauvé ; et vous, mes bons amis de France : et vous, cœurs et esprits élevés de toutes les nations que j’ai connus. Ce fut pour moi un bonheur de vous connaître : je garde et je garderai fidèlement de nos relations le plus cher souvenir. Quant à vous, maniaques, dogues et taureaux stupides, quant à vous mes Guildenstern, mes Rosencranz[1], mes Jago, mes petits Osrick[2], serpents et insectes de toute espèce, farewell my... friends[3] ; je vous méprise, et j’espère bien ne pas mourir sans vous avoir oubliés.

Paris, 18 octobre 1854.

  1. Faux amis d’Hamlet.
  2. Freluquet de cour, dans Hamlet.
  3. Adieu, mes... amis !