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la représentation de Benvenuto Cellini à Covent-Garden. Ils ont crié, chuté et sifflé du commencement à la fin ; ils ont voulu empêcher même l’exécution de mon ouverture du Carnaval romain qui servait d’introduction au second acte et qu’on avait applaudie maintes fois à Londres en divers concerts, entre autres a celui de la Société philharmonique de Hanovre square, quinze jours auparavant. L’opinion publique, sinon la mienne, plaçait à la tête de cette cabale comique dans sa fureur, M. Costa, le chef d’orchestre de Covent-Garden, que j’ai plusieurs fois attaqué dans mes feuilletons au sujet des libertés qu’il prend avec les partitions des grands maîtres, en les taillant, allongeant, instrumentant et mutilant de toutes façons. Si M. Costa est le coupable, ce qui est fort possible, il a su, en tous cas, par ses empressements à me servir et à m’aider pendant les répétitions, endormir ma méfiance avec une rare habileté.

Les artistes de Londres, indignés de cette vilenie, ont voulu m’exprimer leur sympathie en souscrivant, au nombre de deux cent trente, pour un Testimonial concert, qu’ils m’engageaient à donner avec leur concours gratuit dans la salle d’Exeter-hall, mais qui néanmoins n’a pu avoir lieu. L’éditeur Beale (aujourd’hui l’un de mes meilleurs amis) m’a en outre apporté un présent de deux cents guinées qui m’était offert par une réunion d’amateurs, en tête desquels figuraient les célèbres facteurs de piano, MM. Broadwood. Je n’ai pas cru devoir accepter ce présent si en dehors de nos mœurs françaises, mais dont une bonté et une générosité réelles avaient néanmoins suggéré l’idée. Tout le monde n’est pas Paganini.

Ces preuves d’affection m’ont touché beaucoup plus que ne m’avaient blessé les insultes des cabaleurs.

En Allemagne, sans doute, je n’aurais rien de pareil à redouter. Mais je ne sais pas l’allemand ; il faudrait composer sur un texte français qu’on traduirait ensuite ; c’est un grand désavantage. Il faudrait aussi, pour écrire un grand opéra, y consacrer au moins dix-huit mois sans m’occuper d’autre chose, sans rien gagner par conséquent, et sans dédommagement possible sous ce rapport, puisque, en Allemagne, les compositeurs d’opéras ne touchent pas d’honoraires. Encore a-t-on vu dans mon récit de la première exécution de Faust en Prusse, ce qu’une inoffensive observation imprimée dans le Journal des Débats m’avait attiré d’inimitiés parmi les musiciens de l’orchestre de Berlin.

À Leipzig aussi, bien qu’on entende aujourd’hui ma musique avec d’autres oreilles qu’au temps de Mendelssohn (à ce que j’ai pu voir, et à ce que m’assure Ferdinand David) il y a encore quelques petits fanatiques, élèves du Conservatoire, qui, me regardant, sans savoir pourquoi, comme un destructeur, un Attila de l’art musical, m’honorent d’une haine forcenée, m’écrivent des injures et me font des grimaces dans les corridors de Gewandhaus quand j’ai le dos tourné.