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Et partout un doux soleil, la solitude et le silence...

Deux heures après, je traversais l’Isère, et sur l’autre rive, un peu avant la fin du jour, j’arrivais au hameau de Murianette où je trouvais mes cousins et leur mère. Le lendemain nous rentrâmes ensemble à Grenoble. J’avais l’air fort préoccupé, fort étrange, on peut le croire. Resté seul un instant avec mon cousin Victor, celui-ci ne put s’empêcher de me dire :

— «Qu’as-tu donc ? je ne te vis jamais ainsi...

— Ce que j’ai ?... tiens, tu vas me bafouer, mais puisque tu me questionnes, je répondrai... D’ailleurs cela me soulagera, j’étouffe... hier j’étais à Meylan...

— Je le sais ; qu’y a-t-il là ?

— Il y a, entre autres choses, la maison de madame Gautier... connais-tu sa nièce[1], madame F****** ?

— Oui, celle qu’on appelait autrefois la belle Estelle D*****.

— Eh bien ! je l’ai aimée éperdument quand j’avais douze ans et... je l’aime encore !...

— Mais, imbécile, me répondit Victor en éclatant de rire, elle a maintenant cinquante et un ans, son fils aîné en a vingt-deux... il a fait son cours de droit avec moi !»

Et ses rires de redoubler et les miens de s’y joindre, mais convulsifs, mais grimaçants, mais désolés comme les rayons d’un soleil d’avril à travers la pluie...

« — Oui, c’est absurde, je le sens, et pourtant cela est... c’est absurde et c’est vrai... c’est puéril et immense... Ne ris plus, ou ris si tu veux, peu importe ; où est-elle maintenant ? où est-elle ? tu dois le savoir ?...

— Depuis la mort de son mari, elle habite Vif...

— Vif ! est-ce loin ?

— À trois lieues d’ici...

— J’y vais, je veux la voir.

— Perds-tu la tête ?

— Je trouverai un prétexte pour me présenter.

— Je t’en prie, Hector, ne fais pas cette extravagance !

— Je veux la voir.

  1. Sa petite-fille.