Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/438

Cette page n’a pas encore été corrigée

ses confrères. Il m’arriva un jour, pendant les répétitions de Benvenuto Cellini à Paris, de faire remarquer à un second cor (M. Meyfred, un homme d’esprit pourtant), qu’il se trompait dans un passage important. À cette observation, faite tranquillement, et avec toute la politesse possible, M. Meyfred, se levant courroucé et perdant tout son esprit, s’écria : «Je fais ce qu’il y a ! pourquoi se méfier ainsi de l’orchestre ?...» Ce à quoi je répondis encore plus tranquillement : «D’abord, mon cher monsieur Meyfred, il ne s’agit pas tout à fait de l’orchestre, mais de vous seulement ; ensuite je ne me méfie point, car la méfiance suppose un doute, et je suis parfaitement sûr que vous vous trompez.» Pour en revenir à l’orchestre de Berlin, je ne fus pas longtemps à reconnaître ses mauvaises dispositions à mon égard, pendant les études de Faust. L’accueil glacial qu’il me faisait chaque jour à mon entrée, son silence hostile après les meilleurs morceaux de la partition, les regards courroucés lancés sur moi par les flûtes surtout, et les révélations que je reçus enfin des musiciens restés mes amis, ne pouvaient me laisser aucun doute. Ces derniers, intimidés par l’hostilité furibonde de leurs camarades, n’osaient m’applaudir, et ce fut à voix basse que l’un d’eux, parlant un peu le français, me glissa ces mots, en passant près de moi sur le théâtre, après une répétition : «Monsieur ! la mousik... elle est souperbe !...» À propos de quelques-uns des siffleurs de la ballade, il m’est donc assez permis de me méfier (c’est le cas de le dire) de leurs accointances avec les grandes flûtes, les flûtes immenses, les flûtes incomparables de l’orchestre de Berlin. Quoi qu’il en soit, je le répète, l’exécution de l’orchestre fut belle et irréprochable, comme celle des chœurs.

Bœticher chanta en excellent musicien et en véritable artiste le rôle de Méphistophélès ; le public cria : Da capo ! après la scène des Sylphes ; mais j’étais de mauvaise humeur et ne voulus point recommencer le morceau. Madame la princesse de Prusse, qui deux fois était venue à huit heures du matin dans la salle froide et obscure de l’Opéra, entendre mes répétitions, me dit toutes sortes de choses aimables, le roi m’envoya par Meyerbeer la croix de l’Aigle rouge, m’invita à dîner à son château de Sans-Souci le surlendemain ; et le grand critique Relstab, l’ennemi si longtemps acharné de Meyerbeer et de Spontini, après m’avoir verbalement donné des marques d’amitié et d’estime, m’éreinta dans la Gazette d’État, on ne peut mieux. — Voilà bien des succès, dont le dernier, à mon sens, n’est pas le moindre. Ce dîner à Sans-Souci fut charmant. M. de Humboldt, le comte Mathieu Wielhorski et madame la princesse de Prusse se trouvaient parmi les convives. — Après le dessert, on alla prendre le café dans le jardin. Le roi se promenait sa tasse à la main ; en m’apercevant sur l’escalier d’un pavillon, il s’écria de loin :

« — Hé ! Berlioz, venez donc me donner des nouvelles de ma sœur et me raconter votre voyage en Russie.»