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leur maître, M. Reinhart, est un homme aimable, spirituel et bon musicien. Je suis même persuadé qu’en faisant exécuter ce morceau par ses élèves, il n’avait pas l’intention de m’être désagréable.

Il y avait aussi à Moscou, à cette époque, un charmant petit prodige, le fils de madame la princesse Olga Dolgorouki, âgé de dix ans, qui m’effraya par la passion intelligente avec laquelle il chantait des scènes dramatiques des grands maîtres et des romances de sa composition.

Comblé des politesses de plusieurs familles moscovites et d’une famille française établie à Moscou, je dus, aussitôt après le concert, repartir pour la capitale de l’empire. J’y étais attendu pour diriger les études de ma symphonie de Roméo et Juliette que M. Guédéonoff m’avait promis de faire splendidement exécuter au grand théâtre.


LVI


Retour à Saint-Pétersbourg. — Deux exécutions de Roméo et Juliette au grand théâtre. — Roméo dans son cabriolet. — Ernst. — Nature de son talent. — L’action rétroactive de la musique.


En arrivant sur les bords du Volga, je vis pour la première fois la débâcle d’un fleuve de Russie au dégel. Il fallut rester cinq heures sur la rive gauche à attendre que la masse des glaces fût moins compacte ; et quand enfin la traversée fut tentée dans une barque qu’on faisait exprès osciller de droite à gauche et de gauche à droite pour faciliter son passage au travers des blocs, le mouvement lent mais irrésistible des glaçons, la petite crépitation mystérieuse qu’ils produisaient en flottant, la charge excessive du bateau encombré de malles, l’air inquiet et les cris de nos conducteurs me charmèrent, je l’avoue, très-médiocrement, et je respirai avec un véritable plaisir en mettant pied à terre sur l’autre rive.