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pompeuse et excellente. Il nous manquait seulement un habile chef d’orchestre, ni lui, ni moi n’ayant l’habitude de diriger d’aussi grandes masses de voix et d’instruments. Valentino était alors à la tête de l’orchestre de l’Opéra, il aspirait à l’honneur d’avoir aussi sous ses ordres celui de la chapelle royale. Il n’aurait garde, sans doute, de ne rien refuser à mon maître qui était surintendant[1] de cette chapelle. En effet, une lettre de Lesueur que je lui portai le décida, malgré sa défiance des moyens d’exécution dont je pourrais disposer, à me promettre son concours. Le jour de la répétition générale arriva, et nos grandes masses vocales et instrumentales réunies, il se trouva que nous avions pour tout bien vingt choristes, dont quinze ténors et cinq basses, douze enfants, neuf violons, un alto, un hautbois, un cor et un basson. On juge de mon désespoir et de ma honte, en offrant à Valentino, à ce chef renommé d’un des premiers orchestres du monde, une telle phalange musicale !... «Soyez tranquille, disait toujours maître Masson, il ne manquera personne demain à l’exécution. Répétons ! répétons ! Valentino résigné, donne le signal, on commence ; mais après quelques instants, il faut s’arrêter à cause des innombrables fautes de copie que chacun signale dans les parties. Ici on a oublié d’écrire les bémols et les dièses à la clef ; là il manque dix pauses ; plus loin on a omis trente mesures. C’est un gâchis à ne pas se reconnaître, je souffre tous les tourments de l’enfer ; et nous devons enfin renoncer absolument, pour cette fois, à mon rêve si longtemps caressé d’une exécution à grand orchestre.

Cette leçon au moins ne fut pas perdue. Le peu de ma composition malheureuse que j’avais entendu, m’ayant fait découvrir ses défauts les plus saillants, je pris aussitôt une résolution radicale dans laquelle Valentino me raffermit, en me promettant de ne pas m’abandonner, lorsqu’il s’agirait plus tard de prendre ma revanche. Je refis cette messe presque entièrement. Mais pendant que j’y travaillais, mes parents avertis de ce fiasco, ne manquèrent pas d’en tirer un vigoureux parti pour battre en brèche ma prétendue vocation et tourner en ridicule mes espérances. Ce fut la lie de mon calice d’amertume. Je l’avalai en silence et n’en persistai pas moins.

La partition terminée, convaincu par une triste expérience que je ne devais me fier à personne pour le travail de la copie, et ne pouvant, faute d’argent, employer des copistes de profession, je me mis à extraire moi-même les parties, à les doubler, tripler, quadrupler, etc. Au bout de trois mois elles furent prêtes. Je demeurai alors aussi empêché avec ma messe que Robinson avec son grand canot qu’il ne pouvait lancer ; les moyens de la faire exécuter me manquaient absolument. Compter de nouveau sur les masses musicales de M. Masson eût é

  1. Les surintendants présidaient seulement à l’exécution de leurs œuvres ; mais ne dirigeaient point personnellement.