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au diapason, il ne l’est pas moins de chanter faux relativement à l’expression ; que si une note trop haute ou trop basse fait mal à l’oreille, un passage rendu fort quand il doit être doux, ou faible quand il doit être énergique, ou pompeux quand il doit être naïf, irrite bien plus douloureusement encore la sensibilité des auditeurs intelligents, fait un tort plus grave à l’œuvre ainsi interprétée à contre-sens, et prouve jusqu’à l’évidence que l’artiste qui chante de la sorte, fût-il doué d’une voix admirable et d’une vocalisation exceptionnelle, n’est qu’un idiot. Les élèves d’un tel maître n’abuseront pas, comme on le fait partout aujourd’hui, avec un cynisme inqualifiable, de la patience des chefs d’orchestre, en leur imposant l’obligation de suivre les plus grotesques divagations rhythmiques, d’introduire à chaque instant dans la mesure des temps supplémentaires ; de ralentir du triple la moitié d’une période et même d’une mesure isolée, pour en précipiter follement la seconde moitié ; d’attendre le bras levé que le chanteur ait fini de pousser jusqu’à perte d’haleine sa note favorite ; d’être, en un mot, les complices forcés d’une insulte faite au bon sens et à l’art, et les esclaves frémissants d’une sottise armée de poumons despotiques. Un tel maître ne souffrira pas non plus que ses élèves abordent jamais l’étude des belles partitions sans comprendre le sujet du poëme, sans en connaître la partie historique, sans avoir réfléchi aux passions mises en jeu par les auteurs, et tâché d’en bien saisir le caractère. Il sera honteux qu’un chanteur sorti de sa classe ne respecte pas la langue dans laquelle il chante, et les règles imposées par l’essence même du rhythme et de l’euphonie à l’enchaînement des mots. Il fera bien comprendre en outre à ses disciples, que s’ils se permettent dans les points d’orgue ou ailleurs de changer les traits écrits par l’auteur, au moins faut-il que ces changements s’accordent harmoniquement avec les parties accompagnantes, et que le virtuose correcteur et augmentateur de son rôle ne vienne pas folâtrer étourdiment sur les notes de l’accord de sixte et quarte, quand l’orchestre soutient l’accord de la dominante, et réciproquement.

Les conversations que j’ai eues avec M. Gordigiani, et la méthode de ceux de ses élèves que j’ai entendus, m’ont prouvé qu’il était entièrement dans ces idées-là.

Si, comme je le démontrerai tout à l’heure, il manque beaucoup de classes spéciales dans le Conservatoire de Paris, il ne faut pas s’étonner qu’il en soit de même dans celui de Prague. L’enseignement, en effet, est loin d’y être complet. Il a produit néanmoins un assez grand nombre d’élèves capables, pour pouvoir aujourd’hui, avec ses forces presque seules, exécuter d’une manière satisfaisante des œuvres difficiles, telles que la symphonie avec chœurs de Beethoven. C’est là sans doute un des plus beaux résultats que M. Kittl ait encore obtenus.