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Aux premiers mots du directeur, Dessauer se tournant vivement vers moi, me dit :

« — Oh ! Berlioz, ne faites pas cela.

— Vous l’entendez,» dis-je à M. Pillet.

En conséquence il n’en fut plus question. Nous prîmes des airs de danse dans Obéron et dans Preciosa, et le ballet fut ainsi complété avec des compositions de Weber. Mais après quelques représentations les airs de Preciosa et d’Obéron disparurent ; puis on coupa à tort et à travers dans l’Invitation à la valse, qui, ainsi transformée en morceau d’orchestre, avait pourtant obtenu un très-grand succès. Quand M. Pillet eut quitté la direction de l’Opéra et pendant que j’étais en Russie, on en vint pour le Freyschütz à retrancher une partie du finale du troisième acte ; on osa supprimer enfin dans ce même troisième acte tout le premier tableau, où se trouvent la sublime prière d’Agathe et la scène des jeunes filles, et l’air si romantique d’Annette avec alto solo.

Et c’est ainsi déshonoré qu’on représente aujourd’hui le Freyschütz à l’Opéra de Paris. Ce chef-d’œuvre de poésie, d’originalité et de passion sert de lever de rideau aux plus misérables ballets et doit en conséquence se déformer pour leur faire place. Si quelque nouvelle œuvre chorégraphique vient à naître plus développée que ses devancières, on rognera le Freyschütz de nouveau, sans hésiter. Et comme on exécute ce qu’il en reste ! quels chanteurs ! quel chef d’orchestre ! quelle lâche somnolence dans les mouvements ! quelle discordance dans les ensembles ! quelle interprétation plate, stupide et révoltante de tout par tous !... Soyez donc un inventeur, un porte-flambeau, un homme inspiré, un génie, pour être ainsi torturé, sali, vilipendé ! Grossiers vendeurs ! En attendant que le fouet d’un nouveau Christ puisse vous chasser du temple, soyez assurés que tout ce qui en Europe possède le moindre sentiment de l’art vous a en très-profond mépris.