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me fit le plus charmant accueil, et obtint du grand-duc, pour mon concert, plus que je n’avais osé espérer. Dans la plupart des villes d’Allemagne où je m’étais fait entendre jusqu’alors, l’arrangement pris avec les intendants des théâtres avait été à peu près toujours le même ; l’administration supportait presque tous les frais, et je recevais la moitié de la recette brute. (Le théâtre de Weimar seul avait eu la courtoisie de me laisser la recette entière. Je l’ai déjà dit : Weimar est une ville artiste et la famille ducale sait honorer les arts.)

Eh bien ! à Darmstadt, le grand-duc m’accorda non seulement la même faveur, mais voulut encore m’exempter de toute espèce de frais. À coup sûr, ce généreux souverain n’a pas de neveux qui écrivent aussi des, etc., etc.

Le concert fut promptement organisé, et l’orchestre loin de se faire prier pour répéter, aurait voulu qu’il me fût possible de consacrer aux études une semaine du plus. Nous fîmes cinq répétitions. Tout marcha bien, à l’exception cependant du double chœur des jeunes Capulets sortant de la fête au début de la scène d’amour dans Roméo et Juliette. L’exécution de ce morceau fut une véritable déroute vocale ; les ténors du second chœur baissèrent de près d’un demi-ton, et ceux du premier manquèrent leur entrée au retour du thème. Le maître de chant était dans une fureur d’autant plus facile à concevoir, que, pendant huit jours il s’était donné, pour instruire les choristes, une peine infinie.

L’orchestre de Darmstadt est un peu plus nombreux que celui de Hanovre : il possède exceptionnellement un excellent ophicléïde. La partie de harpe est confiée à un peintre, qui, malgré tous ses efforts et sa bonne volonté, n’est jamais sûr de donner beaucoup de couleur à son exécution. Le reste de la masse instrumentale est bien composé et animé du meilleur esprit. On y trouve un virtuose remarquable. Il se nomme Müller, mais n’appartient point cependant à la célèbre famille des Müller, de Brunswick. Sa taille presque colossale, lui permet de jouer de la vraie contre-basse à quatre cordes avec une aisance extraordinaire. Sans chercher comme il le pourrait, à exécuter des traits ni des arpèges d’une difficulté inutile et d’un effet grotesque, il chante gravement et noblement sur cet instrument énorme, et sait en tirer des sons d’une grande beauté, qu’il nuance avec beaucoup d’art et de sentiment. Je lui ai entendu chanter un fort bel adagio composé par Mangold jeune, frère du capell-meister, de manière à émouvoir profondément un sévère auditoire. C’était dans une soirée donnée par M. le docteur Huth, le premier amateur de musique de Darmstadt, qui, dans sa sphère, fait pour l’art ce que M. Alsager sait faire à Londres dans la sienne, et dont l’influence est grande, par conséquent, sur l’esprit musical du public. Müller est une conquête qui doit tenter bien des compositeurs et des chefs d’orchestre ; mais le grand-duc la leur disputera de toutes ses forces, très-certainement.

Le maître de chapelle Mangold, habile et excellent homme, a fait en grande