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avait pas d’orchestre, et les chanteurs n’étaient autres que ceux du théâtre dont j’ai déjà parlé. Vers la fin de la soirée, Meyerbeer, qui, tout grand pianiste qu’il soit, peut-être même à cause de cela, se trouvait fatigué de sa tâche d’accompagnateur, céda sa place ; à qui ? je vous le donne à deviner... au premier chambellan du roi, à M. le comte de Rœdern, qui accompagna en pianiste et en musicien consommé, le Roi des aulnes, de Schubert, à madame Devrient ! Que dites-vous de cela ? Voilà bien la preuve d’une étonnante diffusion des connaissances musicales. M. de Rœdern possède en outre un talent d’une autre nature, dont il a donné des preuves brillantes en organisant le fameux bal masqué qui agita tout Berlin, l’hiver dernier, sous le nom de Fête de la cour de Ferrare, et pour lequel Meyerbeer a écrit une foule de morceaux.

Ces concerts d’étiquette paraissent toujours froids ; mais on les trouve agréables quand ils sont finis, parce qu’ils réunissent ordinairement quelques auditeurs avec lesquels on est fier et heureux d’avoir un instant de conversation. C’est ainsi que j’ai retrouvé chez le roi de Prusse, M. Alexandre de Humboldt, cette éblouissante illustration de la science lettrée, ce grand anatomiste du globe terrestre.

Plusieurs fois dans la soirée, le roi, la reine et madame la princesse de Prusse sont venus m’entretenir du concert que je venais de donner au Grand-Théâtre, me demander mon avis sur les principaux artistes prussiens, me questionner sur mes procédés d’instrumentation, etc., etc. Le roi prétendait que j’avais mis le diable au corps de tous les musiciens de sa chapelle. Après le souper, S. M. se disposait à rentrer dans ses appartements, mais venant à moi tout d’un coup et comme se ravisant :

— À propos, monsieur Berlioz, que nous donnerez-vous dans votre prochain concert ?

— Sire, je reproduirai la moitié du programme précédent, en y ajoutant cinq morceaux de ma symphonie Roméo et Juliette.

— De Roméo et Juliette ! et je fais un voyage ! Il faut pourtant que nous entendions cela ! Je reviendrai.

En effet, le soir de mon second concert, cinq minutes avant l’heure annoncée, le roi descendait de voiture et entrait dans sa loge.

Maintenant faut-il vous parler de ces deux soirées ? Elles m’ont donné bien de la peine, je vous assure. Et pourtant les artistes sont habiles, leurs dispositions étaient des plus bienveillantes, et Meyerbeer, pour me venir en aide, semblait se multiplier. C’est que le service journalier d’un grand théâtre comme celui de l’Opéra de Berlin a des exigences toujours fort gênantes et incompatibles avec les préparatifs d’un concert ; et, pour tourner et vaincre les difficultés qui surgissaient à chaque instant, Meyerbeer a dû employer plus de force et d’adresse, à coup sûr, que lorsqu’il s’est agi pour lui de monter pour la