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me parut pas moins remarquable par une verve, en apparence désordonnée, mais dont tous les élans cependant étaient pleins d’une infernale harmonie. On avait supprimé l’air de danse à 6/8 en la majeur que nous exécutons ici, et rétabli en revanche, la grande chaconne en si bémol, qu’on n’entend jamais à Paris. Ce morceau très-développé a beaucoup d’éclat et de chaleur. Quelle conception que cet acte de la haine ! Je ne l’avais jamais à ce point compris et admiré. J’ai frissonné à ce passage de l’évocation :

«Sauvez-moi de l’amour, Rien n’est si redoutable !»

Au premier hémistiche, les deux hautbois font entendre une cruelle dissonance de septième majeure, cri féminin où se décèlent la terreur et ses plus vives angoisses. Mais au vers suivant :

«Contre un ennemi trop aimable.»

comme ces deux mêmes voix, s’unissant en tierces, gémissent tendrement ! quels regrets dans ce peu de notes ! et comme on sent que l’amour ainsi regretté sera le plus fort ! En effet, à peine la haine, accourue avec son affreux cortège, a-t-elle commencé son œuvre, qu’Armide l’interrompt et refuse son secours. De là le chœur :

«Suis l’amour, puisque tu le veux, Infortunée Armide, Suis l’amour qui te guide Dans un abîme affreux !»

Dans le poëme de Quinault, l’acte finissait là : Armide sortait avec le chœur sans rien dire. Ce dénoûement paraissant vulgaire et peu naturel à Gluck, il voulut que la magicienne demeurée seule un instant, sortît ensuite en rêvant à ce qu’elle vient d’entendre, et un jour, après une répétition, il improvisa, paroles et musique, à l’Opéra, cette scène dont voici les vers :

«Ô ciel ! quelle horrible menace ! Je frémis ! tout mon sang se glace !

Amour, puissant amour, viens calmer mon effroi, Et prends pitié d’un cœur qui s’abandonne à toi !»

La musique en est belle de mélodie, d’harmonie, de vague inquiétude, de