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Saint-Bris expose à Nevers et à ses amis le plan du massacre des Huguenots, Valentine écoute en frémissant le sanglant projet de son père, mais elle n’a garde de laisser apercevoir l’horreur qu’il lui inspire ; Saint-Bris, en effet, n’est pas homme à supporter chez sa fille de pareilles opinions. L’élan involontaire de Valentine vers son mari, au moment où celui-ci brise son épée et refuse d’entrer dans le complot, est d’autant plus beau, que la timide femme a plus longtemps souffert en silence, et que son trouble a été plus péniblement contenu. Eh bien ! au lieu de dérober son agitation et de rester presque passive, comme font dans cette scène toutes les tragédiennes de bon sens, madame Devrient va prendre Nevers, le force de la suivre au fond du théâtre, et là, marchant à grands pas à ses côtés, semble lui tracer son plan de conduite et lui dicter ce qu’il doit répondre à Saint-Bris. D’où il suit que l’époux de Valentine s’écriant ;

«Parmi mes illustres aïeux, Je compte des soldats, mais pas un assassin !»

perd tout le mérite de son opposition ; son mouvement n’a plus de spontanéité, et il a l’air seulement d’un mari soumis qui répète la leçon que lui a faite sa femme. Quand Saint-Bris entonne le fameux thème : À cette cause sainte, madame Devrient s’oublie jusqu’à se jeter bon gré, mal gré, dans les bras de son père, qui toujours cependant est censé ignorer les sentiments de Valentine ; elle l’implore, elle le supplie, elle le tracasse enfin par une pantomime si véhémente, que Bœticher, qui ne s’attendait pas, la première fois, à ces emportements intempestifs, ne savait comment faire pour conserver la liberté d’agir et de respirer, et paraissait dire, par l’agitation de sa tête et de son bras droit : «Pour Dieu, madame, laissez moi donc tranquille, et permettez que je chante mon rôle jusqu’au bout !» Madame Devrient montre par là à quel point elle est possédée du démon de la personnalité. Elle se croirait perdue si dans toutes les scènes, à tort ou à raison, et par quelques manœuvres scéniques que ce soit, elle n’attirait sur elle l’attention du public. Elle se considère évidemment comme le pivot du drame, comme le seul personnage digne d’occuper les spectateurs.» «Vous écoutez cet acteur ! vous admirez l’auteur ! ce chœur vous intéresse ! Niais que vous êtes ! regardez donc par ici, voyez-moi ; car je suis le poème, je suis la poésie, je suis la musique, je suis tout ; il n’y a ce soir d’autre objet intéressant que moi, et vous ne devez être venus au théâtre que pour moi !» Dans le prodigieux duo qui succède à cette immortelle scène, pendant que Raoul se livre à toute la fougue de son désespoir, madame Devrient, la main appuyée sur une causeuse, penche gracieusement la tête pour laisser pendre en liberté du côté gauche, les belles boucles de sa blonde chevelure : elle dit quelques mots, et pendant la réplique de Raoul, se posant inclinée d’une autre