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se servir de la main dans le pavillon, comme si le mécanisme des cylindres n’existait pas et que les compositeurs devront dorénavant indiquer dans leurs partitions, par un signe quelconque, celles des notes des parties de cor qui doivent être faites bouchées, l’exécutant ne devant alors produire ouvertes que celles qui ne portent aucune indication.

Le même préjugé a combattu pendant quelque temps l’emploi des trompettes à cylindres aujourd’hui général en Allemagne, mais avec moins de force cependant qu’il n’en avait apporté à combattre les nouveaux cors. La question des sons bouchés, dont aucun compositeur ne faisait usage sur les trompettes, se trouvait naturellement écartée. On s’est borné à dire que le son de la trompette perdait, par le mécanisme des cylindres, beaucoup de son éclat ; ce qui n’est pas, du moins pour mon oreille. Or, s’il faut une oreille plus fine que la mienne pour percevoir une différence entre les deux instruments, ou conviendra, j’espère, que l’inconvénient résultant de cette différence pour la trompette à cylindres n’est pas comparable à l’avantage que ce mécanisme lui donne de pouvoir parcourir, sans difficulté et sans la moindre inégalité de sons, toute une échelle chromatique de deux octaves et demie d’étendue. Je ne puis donc qu’applaudir à l’abandon à peu près complet où les trompettes simples sont aujourd’hui tombées en Allemagne. Nous n’avons presque point encore en France de trompettes chromatiques (ou à cylindres) ; la popularité incroyable du cornet à pistons leur a fait une concurrence victorieuse jusqu’à ce jour, mais injuste, à mon avis : le timbre du cornet étant fort loin d’avoir la noblesse et le brillant de celui de la trompette. Ce ne sont pas, en tout cas, les instruments qui nous manquent ; Adolphe Sax fait à cette heure des trompettes à cylindres, grandes et petites, dans tous les tons possibles, usités et inusités, dont l’excellente sonorité et la perfection sont incontestables. Croirait-on que ce jeune et ingénieux artiste a mille peines à se faire jour et à se maintenir à Paris ? On renouvelle contre lui des persécutions dignes du moyen âge et qui rappellent exactement les faits et gestes des ennemis de Benvenuto, le ciseleur florentin. On lui enlève ses ouvriers, on lui dérobe ses plans, on l’accuse de folie, on lui intente des procès ; avec un peu plus d’audace on l’assassinerait. Telle est la haine que les inventeurs excitent toujours parmi ceux de leurs rivaux qui n’inventent rien. Heureusement la protection et l’amitié dont M. le général de Rumigny a constamment honoré l’habile facteur, l’ont aidé à soutenir jusqu’à présent cette misérable lutte ; mais suffiront-elles longtemps ?... C’est au ministre de la guerre qu’il appartiendrait de mettre un homme aussi utile et d’une spécialité si rare dans la position dont il est digne par son talent, par sa persévérance et par ses efforts. Nos bandes de musique militaire n’ont point encore de trompettes à cylindres, ni de bass-tubas (le plus puissant des instruments graves). Une fabrication de ces instruments va devenir inévitable pour mettre les orchestres militaires