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pas assez en garde. Le trémolo soutenu est de tous les effets d’orchestre celui dont on se lasse le plus vite ; il n’exige point d’ailleurs d’invention de la part du compositeur, quand il n’est accompagné en dessus ni en dessous par aucune idée saillante.

Quoi qu’il en soit, il faut, je le répète, honorer la pensée royale qui, en lui accordant une protection complète et active a, pour ainsi dire, sauvé un jeune artiste doué de précieuses facultés.

L’administration du théâtre de Dresde n’a rien négligé pour donner tout l’éclat possible à la représentation des deux ouvrages de Wagner ; les décors, les costumes et la mise en scène de Rienzi, approchent de ce qu’on a fait de mieux dans ce genre à Paris. Madame Devrient, dont j’aurai occasion de parler plus longuement à propos de ses représentations à Berlin, joue dans Rienzi le rôle d’un jeune garçon ; ce vêtement ne va plus guère aux contours tant soit peu maternels de sa personne. Elle m’a paru beaucoup plus convenablement placée dans le Vaisseau hollandais, malgré quelques poses affectées et les interjections parlées qu’elle se croit obligée d’introduire partout. Mais un véritable talent bien pur et bien complet, dont l’action sur moi a été très-vive, c’est celui de Wechter, qui remplissait le rôle du Hollandais maudit. Sa voix de baryton est une des plus belles que j’aie entendues, et il s’en sert en chanteur consommé ; elle a un de ces timbres onctueux et vibrants en même temps dont la puissance expressive est si grande, pour peu que l’artiste mette de cœur et de sensibilité dans son chant ; et ces deux qualités, Wechter les possède à un degré très-élevé. Tichatchek est gracieux, passionné, brillant, héroïque et entraînant dans le rôle de Rienzi, où sa belle voix et ses grands yeux pleins de feu le servent à merveille. Mademoiselle Wiest représente la sœur de Rienzi, elle n’a presque rien à dire. L’auteur, en écrivant ce rôle, l’a parfaitement approprié aux moyens de la cantatrice.

Maintenant je voudrais, mon cher Ernst, vous parler avec détails de Lipinski ; mais ce n’est pas à vous, le violoniste tant admiré, tant applaudi d’un bout à l’autre de l’Europe, à vous, l’artiste si attentif et si studieux, que je pourrais rien apprendre sur la nature du talent de ce grand virtuose qui vous précéda dans la carrière. Vous savez aussi bien et mieux que moi, comme il chante, comme il est, dans le haut style, touchant et pathétique, et vous avez depuis longtemps logé, dans votre imperturbable mémoire, les beaux passages de ses concertos. D’ailleurs Lipinski a été, pendant mon séjour à Dresde, si excellent, si chaleureux, si dévoué pour moi, que mes éloges, aux yeux de beaucoup de gens, paraîtraient dépourvus d’impartialité ; on les attribuerait, (bien à tort, je puis le dire,) à la reconnaissance plutôt qu’à un véritable élan d’admiration. Il s’est fait énormément applaudir à mon concert, dans ma romance