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harmonique la tierce mineure[1], et d’une tour habitée par un méchant épervier, dont les cris aigus et discordants me vrillaient l’oreille du matin au soir. J’étais impatient aussi de voir la ville des poëtes où me pressaient d’arriver les lettres du maître de chapelle, mon compatriote Chélard, et celles de Lobe, ce type du véritable musicien allemand dont tu as pu, je le sais, apprécier le mérite et la chaleur d’âme.

Me voilà de nouveau sur le Rhin ! — Je rencontre Guhr. — Il recommence à jurer. — Je le quitte. — Je revois un instant, à Francfort, notre ami Hiller. — Il m’annonce qu’il va faire exécuter son oratorio de la Chute de Jérusalem... — Je pars, nanti d’un très-beau mal de gorge. — Je m’endors en route. — Un rêve affreux... que tu ne sauras pas. — Voilà Weimar. Je suis très-malade. — Lobe et Chélard essayent inutilement de me remonter. — Le concert se prépare. — On annonce la première répétition. — La joie me revient. — Je suis guéri.

À la bonne heure, je respire ici ! Je sens quelque chose dans l’air qui m’annonce une ville littéraire, une ville artiste ! Son aspect répond parfaitement à l’idée que je m’en étais faite, elle est calme, lumineuse, aérée, pleine de paix et de rêverie : des alentours charmants, de belles eaux, des collines ombreuses, de riantes vallées. Comme le cœur me bat en la parcourant ! Quoi ! c’est là le pavillon de Gœthe ! Voilà celui où feu le Grand-Duc aimait à venir prendre part aux doctes entretiens de Schiller, de Herder, de Wieland ! Cette inscription latine fut tracée sur ce rocher par l’auteur de Faust ! Est-il possible ? ces deux petites fenêtres donnent de l’air à la pauvre mansarde qu’habita Schiller ! C’est dans cet humble réduit que le grand poëte de tous les nobles enthousiasmes écrivit Don Carlos, Marie Stuart, les Brigands, Wallestein ! C’est là qu’il a vécu comme un simple étudiant ! Ah ! je n’aime pas Gœthe d’avoir souffert cela ! Lui qui était riche, ministre d’État... ne pouvait-il changer le sort de son ami le poëte ?... ou cette illustre amitié n’eut-elle rien de réel !... Je crains qu’elle ait été vraie du côté de Schiller seulement ! Gœthe s’aimait trop : il chérissait trop aussi

  1. J’ai pu faire en Allemagne, beaucoup d’observations sur les diverses résonnances des cloches ; et j’ai vu, à n’en pouvoir douter, que la nature se riait encore, à cet égard, des théories de nos écoles. Certains professeurs ont soutenu que les cors sonores ne faisaient tous résonner que la tierce majeure ; un mathématicien est venu dans ces derniers temps, affirmant que les cloches faisaient toutes entendre, au contraire, la tierce mineure ; et il se trouva en réalité qu’elles donnent harmoniquement toutes sortes d’intervalles. Les unes font retentir la tierce mineure, les autres la quarte ; une des cloches de Weimar sonne la septième mineure et l’octave successivement (son fondamental fa, résonnance fa octave, mi bémol septième) ; d’autres même produisent la quarte augmentée. Évidemment la résonnance harmonique des cloches dépend de la forme que le fondeur leur a donnée, des divers degrés d’épaisseur du métal à certains points de leur courbure, et des accidents secrets de la fonte et du coulage.