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vent : il veut en découvrir la cause : «Voyons les trompettes seules !..... Que faites-vous là ? Je dois entendre une tierce, et vous produisez un accord de seconde. La deuxième trompette en ut a un ré, donnez-moi votre ré !... Très-bien ! La première a un ut qui produit fa, donnez-moi votre ut ! Fi !... l’horreur ! vous me faites un mi b !

— Non, monsieur, je fais ce qui est écrit !

— Mais je vous dis que non, vous vous trompez d’un ton !

— Cependant je suis sûr de faire l’ut !

— En quel ton est la trompette dont vous vous servez ?

— En mi b !

— Eh ! parlez donc, c’est là qu’est l’erreur, vous devez prendre la trompette en fa.

— Ah ! je n’avais pas bien lu l’indication ; c’est vrai, excusez-moi.

— Allons ! quel diable de vacarme faites-vous là-bas, vous, le timbalier !

— Monsieur j’ai un fortissimo.

— Point du tout, c’est un mezzo forte, il n’y a pas deux F, mais un M et un F. D’ailleurs vous vous servez des baguettes de bois et il faut employer là les baguettes à tête d’éponge ; c’est une différence du noir au blanc.

— Nous ne connaissons pas cela, dit le maître de chapelle ; qu’appelez-vous des baguettes à tête d’éponge ? nous n’avons jamais vu qu’une seule espèce de baguettes.

— Je m’en doutais ; j’en ai apporté de Paris. Prenez-en une paire que j’ai déposée là sur cette table. Maintenant, y sommes-nous ?... Mon Dieu ! c’est vingt fois trop fort ! Et les sourdines que vous n’avez pas prises !...

— Nous n’en avons pas, le garçon d’orchestre a oublié d’en mettre sur les pupitres ; on s’en procurera demain, etc., etc.»

Après trois ou quatre heures de ces tiraillements antiharmoniques, on n’a pas pu rendre un seul morceau intelligible. Tout est brisé, désarticulé, faux, froid, plat, bruyant discordant, hideux ! Et il faut laisser sur une pareille impression soixante ou quatre-vingts musiciens qui s’en vont, fatigués et mécontents, dire partout qu’ils ne savent pas ce que cela veut dire, que cette musique est un enfer, un chaos, qu’ils n’ont jamais rien essuyé de pareil. Le lendemain le progrès se manifeste à peine ; ce n’est guère que le troisième jour qu’il se dessine formellement. Alors, seulement, le pauvre compositeur commence à respirer ; les harmonies bien posées deviennent claires, les rhythmes bondissent, les mélodies pleurent et sourient ; la masse unie, compacte, s’élance hardiment ; après tant de tâtonnements, tant de bégayements, l’orchestre grandit, il marche, il parle, il devient homme ! L’intelligence ramène le courage aux musiciens étonnés ; l’auteur demande une quatrième épreuve ; ses interprètes, qui, à tout prendre, sont les meilleures gens du monde, l’accordent avec