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j’avais supprimé dans les parties de trompette, les passages que nous avions reconnus inaccessibles aux deux exécutants. Le trombone seul était livré à lui-même ; mais, ne donnant prudemment que les sons qui lui étaient très-familiers, comme si bémol, ré, fa, et évitant avec soin tous les autres, il brillait presque partout par son silence. Il fallait voir dans cette jolie salle de concert, où Son Altesse avait réuni un nombreux auditoire, comme les impressions musicales circulaient vives et rapides ! Cependant, vous le devinez sans doute, je n’éprouvais de toutes ces manifestations qu’une joie mêlée d’impatience ; et quand le prince est venu me serrer la main, je n’ai pu m’empêcher de lui dire :

« — Ah ! monseigneur, je donnerais, je vous jure, deux des années qui me restent à vivre pour avoir là maintenant mon orchestre du Conservatoire, et le mettre aux prises devant vous avec ces partitions que vous jugez avec tant d’indulgence !

— Oui, oui, je sais, m’a-t-il répondu, vous avez un orchestre impérial, qui vous dit : Sire ! et je ne suis qu’une Altesse ; mais j’irai l’entendre à Paris, j’irai, j’irai !»

Puisse-t-il tenir parole ! Ses applaudissements, qui me sont restés sur le cœur, me semblent un bien mal acquis.

Il y eut après le concert, souper à la villa Eugenia. La gaieté charmante du prince s’était communiquée à tous ses convives ; il voulut me faire connaître une de ses compositions pour ténor, piano et violoncelle ; Techlisbeck se mit au piano, l’auteur se chargeait de la partie du chant, et je fus, aux acclamations de l’assemblée, désigné pour chanter la partie de violoncelle. On a beaucoup applaudi le morceau et ri presque autant du timbre singulier de ma chanterelle. Les dames surtout ne revenaient pas de mon la.

Le surlendemain, après bien des adieux, il fallut retourner à Stuttgard. La neige fondait sur les grands pins éplorés, le manteau blanc des montagnes se marbrait de taches noires... c’était profondément triste... le ronge-cœur put travailler encore.

The rest is silence... Farewell.