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tour… Je l’aimais encore… J’appris en arrivant qu’elle était devenue… mariée et… tout ce qui s’ensuit. Cela ne me guérit point. Ma mère, qui me taquinait quelquefois au sujet de ma première passion, eut peut-être tort de me jouer le tour qu’on va lire. « Tiens, me dit-elle, peu de jours après mon retour de Rome, voilà une lettre qu’on m’a chargée de faire tenir à une dame qui doit passer ici tout à l’heure dans la diligence de Vienne. Va au bureau du courrier, pendant qu’on changera de chevaux, tu demanderas madame F*** et tu lui remettras la lettre. Regarde bien cette dame, je parie que tu la reconnaîtras, bien que tu ne l’aies pas vue depuis dix-sept ans. » Je vais, sans me douter de ce que cela voulait dire, à la station de la diligence. À son arrivée, je m’approche la lettre à la main, demandant madame F***. « C’est moi, monsieur ! » me dit une voix. C’est elle ! me dit un coup sourd qui retentit dans ma poitrine. Estelle !… encore belle !… Estelle !… la nymphe, l’hamadryade du Saint-Eynard, des vertes collines de Meylan ! C’est son port de tête, sa splendide chevelure, et son sourire éblouissant !… mais les petits brodequins roses, hélas ! où étaient-ils ?… On prit la lettre. Me reconnut-on ? je ne sais. La voiture repartit ; je rentrai tout vibrant de la commotion. « Allons, me dit ma mère en m’examinant, je vois que Némorin n’a point oublié son Estelle. » Son Estelle ! méchante mère !…


IV


Premières leçons de musique, données par mon père. — Mes essais en composition. — Études ostéologiques. — Mon aversion pour la médecine. — Départ pour Paris.


Quand j’ai dit plus haut que la musique m’avait été révélée en même temps que l’amour, à l’âge de douze ans, c’est la composition que j’aurais dû dire ; car je savais déjà, avant ce temps, chanter à première vue, et jouer de deux instruments.