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De nouvelles exigences des musiciens de l’Opéra l’avaient d’ailleurs rendue plus pénible. Ces messieurs, apprenant que je donnais vingt francs à quelques artistes du dehors, se crurent en droit de venir tous m’interrompre, les uns après les autres, pour réclamer un payement semblable.

« — Ce n’est pas pour l’argent, disaient-ils, mais les artistes de l’Opéra ne peuvent être moins rétribués que ceux des théâtres secondaires.

— Très-bien ! vous aurez vos vingt francs, leur répondis-je, je vous les garantis ; mais, pour Dieu, faites votre affaire et laissez-moi tranquille.»

Le lendemain, la répétition générale eut lieu sur la scène et fut assez satisfaisante. Tout marcha passablement bien, à l’exception du scherzo de la fée Mab que j’avais eu l’imprudence de faire figurer dans le programme. Ce morceau d’un mouvement si rapide et d’un tissu si délicat, ne doit ni ne peut être exécuté, par un orchestre aussi nombreux. Il est presque impossible, avec une mesure aussi brève, de maintenir ensemble, en pareil cas, les extrémités opposées de la masse instrumentale ; elle occupe un trop grand espace, et les parties les plus éloignées du chef finissent bientôt par rester en arrière faute de pouvoir suivre exactement son rhythme précipité. Troublé comme je l’étais, il ne me vint pas même à l’esprit de former un petit orchestre de choix, qui, groupé autour de moi sur le milieu du théâtre, eût pu rendre sans peine toutes mes intentions ; et après des peines incroyables il fallut renoncer au scherzo et l’effacer du programme. Je remarquai à cette occasion l’impossibilité qu’il y a d’empêcher les petites cymbales en si bemol et en fa de retarder, si les musiciens chargés de ces parties sont trop éloignés du chef d’orchestre. J’avais sottement laissé ce jour-là les cymbaliers au bout du théâtre, à côté des timbales, et malgré tous mes efforts ils restaient quelquefois en arrière d’une mesure entière. J’ai eu soin depuis lors de placer les cymbaliers tout à côté de moi, et la difficulté a disparu.

Le lendemain, je comptais rester tranquille au moins jusqu’au soir : un ami[1] me prévint de certains projets des partisans d’Habeneck, pour ruiner en tout ou en partie mon entreprise. On devait, m’écrivait-il, couper avec des canifs la peau des timbales, graisser de suif les archets de contre-basse, et, au milieu du concert, faire demander la Marseillaise.

Cet avis, on le conçoit, troubla le repos dont j’avais tant besoin. Au lieu d’employer la journée à dormir, je me mis à parcourir les abords de l’Opéra en proie à une agitation fébrile. Comme je circulais ainsi tout pantelant sur le boulevard, mon bonheur m’amena Habeneck en personne. Je cours droit à lui et lui prenant le bras :

  1. Léon Gatayes.