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La lettre fut publiée à Paris par la Gazette musicale. À son retour Habeneck alla voir Cherubini et l’assurer que son Credo avait été très-bien rendu. «Oui ! répliqua Cherubini d’un ton sec, mais vous né m’avez pas écrit à moi[1] !»

Petite couleuvre innocente, qui lui venait encore à propos de ce diable de Requiem et dont il me fit très-plaisamment avaler la sœur jumelle dans la circonstance suivante.

Une place de professeur d’harmonie étant devenue vacante au Conservatoire, un de mes amis m’engagea à me mettre sur les rangs pour l’obtenir. Sans me bercer d’un espoir de succès, j’écrivis néanmoins à ce sujet à notre bon directeur Cherubini ; au reçu de ma lettre, il me fit appeler :

« — Vous vous présentez pour la classe d’harmonie ?... me dit-il de son air le plus aimable et de la voix la plus douce qu’il put trouver. — Oui, monsieur. — Ah ! c’est qué... vous l’aurez cette classe... votre réputation maintenant... vos relations... — Tant mieux, monsieur, je l’ai demandée pour l’avoir. — Oui, mais... mais c’est qué ça mé tracasse... C’est qué zé voudrais la donner à oun autre. — En ce cas, monsieur, je vais retirer ma demande. — Non, non, zé né veux pas, parcé qué, voyez-vous, l’on dirait qué c’est moi qué zé souis la cause que vous vous êtes retiré. — Alors je reste sur les rangs. — Mais qué zé vous dis qué vous l’aurez, la place, si vous persistez et... zé né vous la destinais pas. — Pourtant comment faire ? — Vous savez qu’il faut... il faut... il faut être pianiste pour enseigner l’harmonie au Conservatoire, vous le savez mon ser. — Il faut être pianiste ? Ah ! j’étais loin de m’en douter. Eh bien, voilà une excellente raison. Je vais vous écrire que n’étant pas pianiste je ne puis pas aspirer à professer l’harmonie au Conservatoire, et que je retire ma demande. — Oui, mon ser. Mais, mais, mais, zé né souis pas la cause de votre... — Non, monsieur, loin de là ; je dois tout naturellement me retirer, ayant eu la bêtise d’oublier qu’il faut être pianiste pour enseigner l’harmonie. — Oui, mon ser. Allons, embrassez-moi. Vous savez comme zé vous aime. — Oh ! oui, monsieur, je le sais.» Et il m’embrasse en effet, avec une tendresse vraiment paternelle. Je m’en vais, je lui adresse mon désistement et, huit jours après, il fait donner la place à un nommé Bienaimé qui ne joue pas plus du piano que moi.

Voilà ce qui s’appelle un tour bien exécuté ! Et j’en ai ri le premier de bon cœur.

Le lecteur doit admirer ma réserve pour n’avoir pas répondu à Cherubini : «Vous ne pourriez donc vous même, monsieur, enseigner l’harmonie ?» Car le grand maître, lui non plus, n’était pas du tout pianiste.

  1. Je l’avais bien dit qu’il saurait mon nom quelque jour.