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Allons ! bon ! pensai-je, autre tuile qui me tombe sur la tête !) Vous êtes maintenant dans l’habitude de conduire vous-même l’exécution de vos ouvrages, il est vrai, mais Habeneck est un vieillard (encore un), et je sais qu’il éprouvera une peine très-vive de ne pas présider à celle de votre Requiem. En quels termes êtes-vous avec lui ? — En quels termes ? nous sommes brouillés sans que je sache pourquoi. Depuis trois ans, il a cessé de me parler ; j’ignore ses motifs, et n’ai pas, il est vrai, daigné m’en informer. Il a commencé par refuser durement de diriger un de mes concerts. Sa conduite à mon égard est aussi inexplicable qu’incivile. Cependant, comme je vois bien qu’il désire cette fois figurer à la cérémonie du maréchal Damrémont et que cela paraît vous être agréable, je consens à lui céder le bâton, en me réservant toutefois de diriger moi-même une répétition. — Qu’à cela ne tienne, répondit M. XX..., je vais l’avertir.»

Nos répétitions partielles et générales se firent en effet avec beaucoup de soin. Habeneck me parla comme si nos relations n’eussent jamais été interrompues, et l’ouvrage parut devoir bien marcher.

Le jour de son exécution, dans l’église des Invalides, devant les princes, les ministres, les pairs, les députés, toute la presse française, les correspondants des presses étrangères et une foule immense, j’étais nécessairement tenu d’avoir un grand succès : un effet médiocre m’eût été fatal, à plus forte raison un mauvais effet m’eût-il anéanti.

Or, écoutez bien ceci.

Mes exécutants étaient divisés en plusieurs groupes assez distants les uns des autres, et il faut qu’il en soit ainsi pour les quatre orchestres d’instruments de cuivre que j’ai employés dans le Tuba mirum, et qui doivent occuper chacun un angle de la grande masse vocale et instrumentale. Au moment, de leur entrée, au début du Tuba mirum qui s’enchaîne sans interruption avec le Dies iræ, le mouvement s’élargit du double ; tous les instruments de cuivre éclatent d’abord à la fois dans le nouveau mouvement, puis s’interpellent et se répondent à distance, par des entrées successives, échafaudées à la tierce supérieure les unes des autres. Il est donc de la plus haute importance de clairement indiquer les quatre temps de la grande mesure à l’instant où elle intervient. Sans quoi ce terrible cataclysme musical, préparé de si longue main, où des moyens exceptionnels et formidables sont employés dans des proportions et des combinaisons que nul n’avait tentées alors et n’a essayées depuis, ce tableau musical du jugement dernier, qui restera, je l’espère, comme quelque chose de grand dans notre art, peut ne produire qu’une immense et effroyable cacophonie.

Par suite de ma méfiance habituelle, j’étais resté derrière Habeneck et, lui tournant le dos, je surveillais le groupe des timbaliers, qu’il ne pouvait pas voir, le moment approchant où ils allaient prendre part à la mêlée générale. Il y a peut-être mille mesures dans mon Requiem. Précisément sur celle dont je viens