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d’une intrigue dont je n’avais pas le moindre soupçon. M. XX..., le directeur des Beaux-Arts[1], n’approuvait point le projet du ministre relatif à la musique religieuse, et moins encore le choix qu’il avait fait de moi pour ouvrir la marche des compositeurs dans cette voie. Il savait, en outre, que M. de Gasparin, dans quelques jours, ne serait plus au ministère. Or, en retardant jusqu’à sa sortie la rédaction de son arrêté qui fondait l’institution et m’invitait à composer mon Requiem, rien n’était plus facile ensuite que de faire avorter son projet en dissuadant son successeur de le réaliser. C’est ce qu’avait en tête M. le directeur. Mais M. de Gasparin n’entendait pas qu’on se jouât de lui, et, en apprenant par son fils que rien n’était encore fait la veille du jour où il devait quitter le ministère, il envoya enfin à M. XX.. l’ordre très-sévèrement exprimé de rédiger l’arrêté sur-le-champ et de me l’envoyer ; ce qui fut fait.

Ce premier échec de M. XX... ne pouvait qu’accroître ses mauvaises dispositions à mon égard, et il les accrut en effet.

Cet arbitre du sort de l’art et des artistes ne daignait reconnaître une valeur réelle en musique qu’à Rossini seul. Cependant un jour, après avoir devant moi passé au fil de son appréciation dédaigneuse tous les maîtres anciens et modernes de l’Europe, à l’exception de Beethoven qu’il avait oublié, il se ravisa tout d’un coup en disant : «Pourtant il y en a encore un, ce me semble... c’est... comment s’appelle-t-il donc ? un Allemand dont on joue des symphonies au Conservatoire... Vous devez connaître ça, monsieur Berlioz... — Beethoven ? — Oui, Beethoven. Eh bien, celui-là n’était pas sans talent.» J’ai entendu moi-même le directeur des Beaux-Arts s’exprimer ainsi. Il admettait que Beethoven n’était pas sans talent.

Et M. XX... n’était en cela que le représentant le plus en évidence des opinions musicales de toute la bureaucratie française de l’époque. Des centaines de connaisseurs de cette espèce occupaient toutes les avenues par lesquelles les artistes avaient à passer, et faisaient mouvoir les rouages de la machine gouvernementale avec laquelle devaient à toute force s’engrener nos institutions musicales. Aujourd’hui..........

Une fois armé de mon arrêté, je me mis à l’œuvre. Le texte du Requiem était pour moi une proie dès longtemps convoitée, qu’on me livrait enfin, et sur laquelle je me jetai avec une sorte de fureur. Ma tête semblait prête à crever sous l’effort de ma pensée bouillonnante. Le plan d’un morceau n’était pas esquissé que celui d’un autre se présentait ; dans l’impossibilité d’écrire assez vite, j’avais adopté des signes sténographiques qui, pour le Lacrymosa surtout, me furent d’un grand secours. Les compositeurs connaissent le supplice et le désespoir

  1. Il est mort depuis dix ou douze ans, mais il vaut mieux ne pas le nommer.