Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/208

Cette page n’a pas encore été corrigée

musique ad hoc. Voulez-vous écrire un solo d’alto ? je n’ai confiance qu’en vous pour ce travail. — Certes, lui répondis-je, elle me flatte plus que je ne saurais dire, mais pour répondre à votre attente pour faire dans une semblable composition briller comme il convient un virtuose tel que vous, il faut jouer de l’alto ; et je n’en joue pas. Vous seul, ce me semble, pourriez résoudre le problème. — Non, non, j’insiste, dit Paganini, vous réussirez ; quant à moi, je suis trop souffrant en ce moment pour composer, je n’y puis songer.»

J’essayai donc pour plaire à l’illustre virtuose d’écrire un solo d’alto, mais un solo combiné avec l’orchestre de manière à ne rien enlever de son action à la masse instrumentale, bien certain que Paganini, par son incomparable puissance d’exécution, saurait toujours conserver à l’alto le rôle principal. La proposition me paraissait neuve, et bientôt un plan assez heureux se développa dans ma tête et je me passionnai pour sa réalisation. Le premier morceau était à peine écrit que Paganini voulut le voir. À l’aspect des pauses que compte l’alto dans l’allégro : «Ce n’est pas cela ! s’écria-t-il, je me tais trop longtemps là dedans ; il faut que je joue toujours. — Je l’avais bien dit, répondis-je. C’est un concerto d’alto que vous voulez, et vous seul, en ce cas, pouvez bien écrire pour vous.» Paganini ne répliqua point, il parut désappointé et me quitta sans parler davantage de mon esquisse symphonique. Quelques jours après, déjà souffrant de l’affection du larynx dont il devait mourir, il partit pour Nice, d’où il revint seulement trois ans après.

Reconnaissant alors que mon plan de composition ne pouvait lui convenir, je m’appliquai à l’exécuter dans une autre intention et sans plus m’inquiéter des moyens de faire briller l’alto principal. J’imaginai d’écrire pour l’orchestre une suite de scènes, auxquelles l’alto solo se trouverait mêlé comme un personnage plus ou moins actif conservant toujours son caractère propre ; je voulus faire de l’alto, en le plaçant au milieu des poétiques souvenirs que m’avaient laissés mes pérégrinations dans les Abruzzes, une sorte de rêveur mélancolique dans le genre du Child-Harold de Byron. De là le titre de la symphonie Harold en Italie. Ainsi que dans la Symphonie fantastique un thème principal (le premier chant de l’alto), se reproduit dans l’œuvre entière ; mais avec cette différence que le thème de la Symphonie fantastique, l’idée fixe, s’interpose obstinément comme une idée passionnée épisodique au milieu des scènes qui lui sont étrangères et leur fait diversion, tandis que le chant d’Harold se superpose aux autres chants de l’orchestre, avec lesquels il contraste par son mouvement et son caractère, sans en interrompre le développement. Malgré la complexité de son tissu harmonique, je mis aussi peu de temps à composer cette symphonie que j’en ai mis en général à écrire mes autres ouvrages ; j’employai aussi un temps considérable à la retoucher. Dans la marche des Pèlerins même, que j’avais improvisée en deux heures en rêvant un soir au coin de