Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/183

Cette page n’a pas encore été corrigée

principale un groupe de femmes et d’enfants se forma derrière nous et nous suivit jusqu’à la place avec toutes les marques de la plus vive curiosité. On nous indiqua une maison, ou plutôt un chenil, qu’un vieil écriteau désignait comme la locanda ; malgré tout notre dégoût, ce fut là qu’il fallut passer la nuit. Dieu ! quelle nuit ! elle ne fut pas employée à dormir, je puis l’assurer ; les insectes de toute espèce qui foisonnaient dans nos draps rendirent tout repos impossible. Pour mon compte, ces myriades me tourmentèrent si cruellement que je fus pris au matin d’un violent accès de fièvre.

Que faire ?... ces messieurs ne voulaient pas me laisser à Alatri... il fallait arriver à Subiaco... séjourner dans cette bicoque était une triste perspective... Cependant, je tremblais tellement qu’on ne savait comment me réchauffer et que je ne me croyais guère capable de faire un pas. Mes compagnons d’infortune, pendant que je grelottais, se consultaient en langue suédoise, mais leur physionomie exprimait trop bien l’embarras extrême que je leur causais pour qu’il fût possible de s’y méprendre. Un effort de ma part était indispensable ; je le fis, et après deux heures de marche au pas de course, la fièvre avait disparu.

Avant de quitter Alatri, un conseil des géographes du pays fut tenu sur la place pour nous indiquer notre route. Bien des opinions émises et débattues, celle qui nous dirigeait sur Subiaco, par Arcino et Anticoli ayant prévalu, nous l’adoptâmes. Cette journée fut la plus pénible que nous eussions encore faite depuis le commencement du voyage. Il n’y avait plus de chemins frayés, nous suivions des lits de torrents, enjambant a grand’peine les Quartiers dont ils sont à chaque instant encombrés.

Nous arrivâmes ainsi à un affreux village dont le nom m’est inconnu. Les bouges hideux qui le composent et que je n’ose appeler maisons, étaient ouverts mais entièrement vides. Nous ne trouvâmes d’autres habitants dans le village que deux jeunes porcs se vautrant dans la boue noire des roches déchirées qui servent de rues à ce repaire. Où était la population ? C’est le cas de dire : chi lo sa ?

Plusieurs fois nous nous sommes égarés dans les vallons de ce labyrinthe de rochers ; il fallait alors gravir de nouveau la colline que nous venions de descendre, ou, du fond d’un ravin, crier à quelque paysan :

«Ohé ! ! ! la strada d’Anticoli ?...

À quoi il répondait par un éclat de rire, ou par «via ! via !» Ce qui nous rassurait médiocrement, on peut le penser. Nous y parvînmes cependant ; je me rappelle même avoir trouvé à Anticoli grande abondance d’œufs, de jambon et d’épis de maïs que nous fîmes rôtir, à l’exemple des pauvres habitants de ces terres stériles, et dont la saveur sauvage n’est pas désagréable. Le chirurgien d’Anticoli, gros homme rouge qui avait l’air d’un boucher, vint nous honorer de