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tardions encore à lever l’ancre, à déraper. Je me rends à ce prudent avis. Je descends ; chacun reprend sa place sur le navire ; le capitaine, digne émule du héros troyen :

...........Eripit ensem Fulmineum

(ouvre son grand couteau)

strictoque ferit retinacula ferro.

(et coupe vivement la ficelle ;)

Idem omnes simul ardor habet ; rapiuntque, ruuntque ; Littora deseruere ; latet sub classibus æquor ; Adnixi torquent spumas, et cærula verrunt.

(tous, pleins d’ardeur et d’un peu de crainte, nous nous précipitons, nous fuyons le rivage ; nos rames font voler des flots d’écume, la mer disparaît sous notre...... canot.) Traduction libre.

Cependant il y avait du danger, la coquille de noix frétillait d’une singulière façon à travers les crêtes blanches de vagues disproportionnées ; mes gaillards ne riaient plus et commençaient à chercher leurs chapelets. Tout cela me paraissait d’un ridicule atroce et je me disais : à propos de quoi vais-je me noyer ? À propos d’un soldat lettré qui admire Tasso ; pour moins encore, pour un chapeau ; car, si j’eusse marché tête nue, le soldat ne m’eût pas interpellé ; je n’aurais pas songé au chantre d’Armide, ni à l’auteur de Galathée, ni à Nisida ; je n’aurais pas fait cette sotte excursion insulaire, et je serais tranquillement assis à Saint-Charles en ce moment, à écouter la Brambilla et Tamburini ! Ces réflexions et les mouvements de la nef en perdition me faisaient grand mal au cœur, je l’avoue. Pourtant, le dieu des mers, trouvant la plaisanterie suffisante comme cela, nous permit de gagner la terre, et les matelots, jusque-la muets comme des poissons, recommencèrent à crier comme des geais. Leur joie fut même si grande, qu’en recevant les trente francs que j’avais consenti à me laisser escroquer, ils eurent un remords, et me prièrent avec une véritable bonhomie, de venir dîner avec eux. J’acceptai. Ils me conduisirent assez loin de là, au milieu d’un bois de peupliers, sur la route de Pouzzoles, en un lieu fort solitaire, et je commençais à calomnier leur candide intention (pauvres lazzaroni !), quand nous arrivâmes vers une chaumière à eux bien connue, où mes amphytrions se hâtèrent de donner des ordres pour le festin.

Bientôt apparut un petit monticule de fumants macaroni ; ils m’invitèrent à y plonger la main droite à leur exemple ; un grand pot de vin du Pausilippe fut placé sur la table, et chacun de nous y buvait à son tour, après, toutefois, un vieillard édenté, le seul de la bande qui devait boire avant moi, le respect pour l’âge l’emportant chez ces braves enfants, même sur la courtoisie, qu’ils