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ce joli nom, et je fus pris à l’improviste d’un désir irrésistible de la visiter[1].

J’y cours ; me voilà dans la grotte du Pausilippe ; j’en sors, toujours courant ; j’arrive au rivage ; je vois une barque, je veux la louer ; je demande quatre rameurs, il en vient six ; je leur offre un prix raisonnable, en leur faisant observer que je n’avais pas besoin de six hommes pour nager dans une coquille de noix jusqu’à Nisida. Ils insistent en souriant et demandent à peu près trente francs pour une course qui en valait cinq tout au plus ; j’étais de bonne humeur, deux jeunes garçons se tenaient à l’écart sans rien dire, avec un air d’envie ; je trouvai bouffonne l’insolente prétention de mes rameurs, et désignant les deux lazzaronetti :

« — Eh bien ! oui, allons, trente francs, mais venez tous les huit et ramons vigoureusement.»

Cris de joie, gambades des petits et des grands ! nous sautons dans la barque, et en quelques minutes nous arrivons à Nisida. Laissant mon navire à la garde de l’équipage, je monte dans l’île, je la parcours dans tous les sens, je regarde le soleil descendre derrière le cap Misène poétisé par l’auteur de l’Énéide, pendant que la mer qui ne se souvient ni de Virgile, ni d’Énée, ni d’Ascagne, ni de Misène, ni de Palinure, chante gaiement dans le mode majeur mille accords scintillants...

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Comme je vaguais ainsi sans but, un militaire parlant fort bien le français s’avance vers moi et m’offre de me montrer les diverses curiosités de l’île, les plus beaux points de vue, etc. J’accepte son offre avec empressement. Au bout d’une heure, en le quittant, je faisais le geste de prendre ma bourse pour lui donner la buona mano d’usage, quand lui, se reculant d’un pas et prenant un air presque offensé, repousse ma main en disant :

« — Que faites-vous donc, monsieur ? je ne vous demande rien,... que de... prier le bon Dieu pour moi.»

— Parbleu, je le ferai, me dis-je en remettant ma bourse dans ma poche, l’idée est trop drôle, et que le diable m’emporte si j’y manque.

Le soir, en effet, au moment de me mettre au lit, je récitai très-sérieusement un premier Pater pour mon brave sergent, mais au second j’éclatai de rire. Aussi je crains bien que le pauvre homme n’ait pas fait fortune et qu’il soit resté sergent comme devant.

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Je serais demeuré à Nisida jusqu’au lendemain, je crois, si un de mes matelots, délégué par le capitaine, ne fût venu me héler et m’avertir que le vent fraîchissait, et que nous aurions de la peine à regagner la terre ferme, si nous

  1. Le vrai nom de l’île est Nisita, mais je l’ignorais alors.