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spirituelle et savante conversation ; le palais bénédictin du Monte-Cassino, avec son luxe éblouissant de mosaïques, de boiseries sculptées, de reliquaires, etc. ; l’autre couvent de San-Benedetto, à Subiaco, où se trouve la grotte qui reçut saint Benoît, où les rosiers qu’il planta fleurissent encore. Plus haut, dans la même montagne, au bord d’un précipice au fond duquel murmure le vieil Anio, ce ruisseau chéri d’Horace et de Virgile, la cellule del Beato Lorenzo, adossée à un mur de rochers que dore le soleil, et où j’ai vu s’abriter des hirondelles au mois de janvier. Grands bois de châtaigniers au noir feuillage, où surgissent des ruines surmontées par intervalles, au soir, de formes humaines qui se montrent un instant et disparaissent sans bruit... pâtres ou brigands... En face, sur l’autre rive de l’Anio, grande montagne à dos de baleine, où l’on voit encore à cette heure une petite pyramide de pierres que j’eus la constance de bâtir, un jour de spleen, et que les peintres français, amants fidèles de ces solitudes, ont eu la courtoisie de baptiser de mon nom. Au-dessous, une caverne où l’on entre en rampant et dont on ne peut atteindre l’entrée qu’en se laissant tomber du rocher supérieur, au risque d’arriver brisé à cinq cents pieds plus bas.

À droite, un champ où je fus arrêté par des moissonneurs étonnés de ma présence en pareil lieu, qui m’accablèrent de questions, et ne me laissèrent continuer mon ascension que sur l’assurance plusieurs fois donnée qu’elle avait pour but l’accomplissement d’un vœu fait à la madone. Loin de là, dans une étroite plaine, la maison isolée de la Piagia, bâtie sur le bord de l’inévitable Anio, où j’allais demander l’hospitalité et faire sécher mes habits, après les longues chasses, aux jours pluvieux d’automne. La maîtresse du logis, excellente femme, avait une fille admirablement belle, qui depuis a épousé le peintre lyonnais, notre ami Flacheron. Je vois encore ce jeune drôle, demi-bandit, demi-conscrit, Crispino, qui nous apportait de la poudre et des cigares. Lignes de madones couronnant les hautes collines, et que suivent, le soir, en chantant des litanies, les moissonneurs attardés qui reviennent des plaines, au tintement mélancolique de la campanella d’un couvent caché ; forêts de sapins que les pifferari font retentir de leurs refrains agrestes ; grandes filles aux noirs cheveux, à la peau brune, au rire éclatant, qui, tant de fois, pour danser, ont abusé de la patience et des doigts endoloris di questo signore qui suona la chitarra francese ; et le classique tambour de basque accompagnant mes saltarelli improvisés ; les carabiniers, voulant à toute force s’introduire dans nos bals d’Osteria ; l’indignation des danseurs français et abruzzais ; les prodigieux coups de poing de Flacheron ; l’expulsion honteuse de ces soldats du pape ; menaces d’embuscades, de grands couteaux !... Flacheron, sans nous rien dire, à minuit, au rendez-vous, armé d’un simple bâton ; absence des carabiniers ; Crispino enthousiasmé !

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