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résolu, quoi qu’il arrivât, de n’y plus reparaître. C’était en 1830. Je terminais ma cantate quand la révolution éclata.

«Et lorsqu’un lourd soleil chauffait les grandes dalles
Des ponts et de nos quais déserts,
Que les cloches hurlaient, que la grêle des balles
Sifflait et pleuvait par les airs ;
Que dans Paris entier, comme la mer qui monte,
Le peuple soulevé grondait
Et qu’au lugubre accent des vieux canons de fonte
La Marseillaise répondait...[1]»

L’aspect du palais de l’Institut, habité par de nombreuses familles, était alors curieux ; les biscaïens traversaient les portes barricadées, les boulets ébranlaient la façade, les femmes poussaient des cris, et dans les moments de silence entre les décharges, les hirondelles reprenaient en chœur leur chant joyeux cent fois interrompu. Et j’écrivais précipitamment les dernières pages de mon orchestre, au bruit sec et mat des balles perdues, qui, décrivant une parabole au-dessus des toits, venaient s’aplatir près de mes fenêtres contre la muraille de ma chambre. Enfin, le 29, je fus libre, et je pus sortir et polissonner dans Paris, le pistolet au poing, avec la sainte canaille[2] jusqu’au lendemain.

Je n’oublierai jamais la physionomie de Paris, pendant ces journées célèbres ; la bravoure forcenée des gamins, l’enthousiasme des hommes, la frénésie des filles publiques, la triste résignation des Suisses et de la garde royale, la fierté singulière qu’éprouvaient les ouvriers d’être, disaient-ils, maîtres de la ville et de ne rien voler ; et les ébouriffantes gasconnades de quelques jeunes gens, qui, après avoir fait preuve d’une intrépidité réelle, trouvaient le moyen de la rendre ridicule par la manière dont ils racontaient leurs exploits et par les ornements grotesques qu’ils ajoutaient à la vérité. Ainsi, pour avoir, non sans de grandes pertes, pris la caserne de cavalerie de la rue de Babylone, ils se croyaient obligés de dire avec un sérieux digne des soldats d’Alexandre : Nous étions à la prise de Babylone. La phrase convenable eût été trop longue ; d’ailleurs on la répétait si souvent que l’abréviation devenait indispensable. Et avec quelle sonorité pompeuse et quel accent circonflexe sur l’o on articulait ce nom de Babylone ! Ô Parisiens !... farceurs... gigantesques, si l’on veut, mais aussi gigantesques farceurs !...

Et la musique, et les chants, et les voix rauques dont retentissaient les rues, il faut les avoir entendus pour s’en faire une idée !

  1. Jambes d’Auguste Barbier.
  2. Expression d’Auguste Barbier.