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» — Vous avez été lié avec Levaillant ?

» — Pardi, comme deux doigts de la main.

» — Vous avez parlé souvent à Volney ?

» — À M. le comte de Volney qui avait des bas bleus ?

» — Oui.

» — Certainement.

» — Eh bien ! vous êtes bon juge en musique.

» — Comment ça ?

» — Il n’y a pas besoin de savoir comment ; seulement si l’on vous dit par hasard : quel titre avez-vous pour juger du mérite des compositeurs ? Êtes-vous peintre, graveur en taille-douce, architecte, sculpteur ? Vous répondrez : Non, je suis... voyageur, marin, ami de Levaillant et de Volney. C’est plus qu’il n’en faut. Ah çà, voyons, comment s’est passée la séance ?

» — Oh, tenez, ne m’en parlez pas ; c’est toujours la même chose. J’aurais trente enfants, que le diable m’emporte si j’en mettais un seul dans les arts. Parce que je vois tout ça, moi. Vous ne savez pas quelle sacrée boutique... Par exemple, ils se donnent, ils se vendent même des voix entre eux. Tenez, une fois au concours de peinture, j’entendis M. Lethière qui demandait sa voix à M. Cherubini pour un de ses élèves. Nous sommes d’anciens amis, qu’il lui dit, tu ne me refuseras pas ça. D’ailleurs, mon élève a du talent, son tableau est très-bien. — Non, non, non, je ne veux pas, je ne veux pas, que l’autre lui répond. Ton élève m’avait promis un album que désirait ma femme, et il n’a pas seulement dessiné un arbre pour elle. Je ne lui donne pas ma voix.

» — Ah ! tu as bien tort, que lui dit M. Lethière : je vote pour les tiens, tu le sais, et tu ne veux pas voter pour les miens ! — Non, je ne veux pas. — Alors, je ferai moi-même ton album, là, je ne peux pas mieux dire. — Ah ! c’est différent. Comment l’appelles-tu ton élève ? J’oublie toujours son nom : donne-moi aussi son prénom et le numéro du tableau, pour que je ne confonde pas. Je vais écrire tout cela. — Pingard ! — Monsieur ! — Un papier et un crayon. — Voilà, monsieur. — Ils vont dans l’embrasure de la fenêtre, ils écrivent trois mots, et puis j’entends le musicien qui dit à l’autre en repassant : C’est bon ! il a ma voix.

»Eh bien ! n’est-ce pas abominable ? et si j’avais un de mes fils au concours et qu’on lui fit des tours pareils, n’y aurait-il pas de quoi me jeter par la fenêtre ?...

» — Allons, calmez-vous, Pingard, et dites-moi comment tout s’est terminé aujourd’hui.

» — Je vous l’ai déjà dit, vous avez le second prix, et il ne vous a manqué que deux voix pour le premier. Quand M. Dupont a eu chanté votre cantate,