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plus de mordant et de force que la vôtre, n’allez pas, dans un duo, jouer aux poumons avec lui, et soyez sûr qu’il ne faut pas lutter contre le pot de fer, même quand on est un vase de porcelaine de la Chine. Dans vos tournées départementales, gardez-vous aussi de dire aux provinciaux, en parlant de l’Opéra et de sa troupe chorale et instrumentale : Mon théâtre, mes chœurs, mon orchestre. Les provinciaux n’aiment pas plus que les Parisiens qu’on les prenne pour des niais ; ils savent fort bien que vous appartenez au théâtre, mais que le théâtre n’est pas à vous, et ils trouveraient la fatuité de votre langage d’un grotesque parfait.

»Maintenant, ami Sancho, reçois ma bénédiction ; va gouverner Barataria ; c’est une île assez basse, mais la plus fertile peut-être qu’il y ait en terre ferme. Ton peuple est fort médiocrement civilisé ; encourage l’instruction publique ; que dans deux ans on ne se méfie plus, comme de sorciers maudits, des gens qui savent lire : ne t’abuse pas sur les louanges de ceux à qui tu permettras de s’asseoir à ta table ; oublie tes damnés proverbes ; ne te trouble point quand tu auras un discours important à prononcer ; ne manque jamais à ta parole ; que ceux qui te confieront leurs intérêts puissent être assurés que tu ne les trahiras pas ; et que ta voix soit juste pour tout le monde ! »

LE TÉNOR AU ZÉNITH

Il a cent mille francs d’appointements et un mois de congé. Après son premier rôle, qui lui valut un éclatant succès, le ténor en essaye quelques autres avec des fortunes diverses. Il en accepte même de nouveaux qu’il abandonne après trois ou quatre représentations s’il n’y excelle pas autant que dans les rôles anciens. Il peut briser ainsi la carrière d’un compositeur, anéantir un chef-d’œuvre, ruiner un éditeur et faire un tort énorme au théâtre. Ces considérations n’existent pas pour lui. Il ne voit dans l’art que de l’or et des couronnes ; et le moyen le plus propre à les obtenir promptement est pour lui le seul qu’il faille employer.

Il a remarqué que certaines formules mélodiques, certaines