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son vivant la partition de Weber, je connais des individus bien plus coupables et dont on n’a pourtant pas vilipendé les restes avec cette cynique impiété. Moi aussi j’ai habité Paris et le quartier latin ; et j’y ai vu à l’œuvre un de ces malheureux qui, profitant de l’impunité que leur assure la loi française, se livrent sur les œuvres musicales à des excès infâmes. Il y a de tout dans ce Paris. On y voit des gens qui trouvent leur pain au coin des bornes, la nuit, une lanterne d’une main, un crochet de l’autre ; ceux-ci le cherchent en grattant le fond des ruisseaux des rues ; ceux-là en déchirant le soir les affiches qu’ils revendent aux marchands de papiers ; de plus utiles équarrissent les vieux chevaux à Montfaucon.

Celui-là équarrissait les œuvres des compositeurs célèbres.

Il se nommait Marescot, et son métier était d’arranger toute musique pour deux flûtes, pour une guitare, et surtout pour deux flageolets, et de la publier. La musique du Freyschutz ne lui appartenant pas (tout le monde sait qu’elle appartenait à l’auteur des paroles et des perfectionnements qu’elle avait dû subir pour être digne de figurer dans le Robin des bois à l’Odéon), Marescot n’osait en faire commerce. Et c’était un grand crève-cœur pour lui ; car, disait-il, il avait une idée qui, appliquée à un certain morceau de cet opéra, devait lui rapporter gros. Je voyais quelquefois ce praticien, et je ne sais pourquoi il m’avait pris en affection. Nos tendances musicales n’étaient pas pourtant précisément les mêmes, vous devez, j’espère, le supposer. Il m’arriva, en conséquence, de lui laisser soupçonner que je l’appréciais. Je m’oubliai même une fois jusqu’à lui dire le demi-quart de ma pensée au sujet de son industrie. Ceci nous brouilla un peu, et je demeurai six mois sans mettre les pieds dans son atelier.

Malgré tous les attentats commis par lui sur les grands maîtres, il avait un aspect assez misérable et des vêtements passablement délabrés. Mais voilà qu’un beau jour je le rencontre marchant d’un pas leste sous les arcades de l’Odéon, en habit noir tout neuf, en bottes entières et en cravate blanche ; je crois même, tant la fortune l’avait changé, qu’il avait les