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— C’est possible, Monsieur ; mais vos désastres me consolent mal de mes misères ; et, pour sortir de la gêne où je suis, je viens de m’arrêter à un projet que vous approuverez sans doute. J’ai acquis depuis deux ans une véritable habileté sur mon instrument, je puis maintenant me produire d’une façon sérieuse, et je ferais, je pense, de bonnes affaires en allant donner des concerts dans les grandes villes de France et à Paris.

— A Paris ! des concerts en France ! ah ! ah ! ah ! Laissez-moi rire à mon tour. Ah ! ah ! le drôle d’homme ! Ce n’est pas pour me moquer de vous ! ah ! ah ! ah ! mais c’est involontaire, comme le rire bienheureux que vous a occasionné mon scherzo !

— Pardon, qu’ai-je donc dit de si plaisant ?

— Vous m’avez dit, ah ! ah ! ah ! que vous comptiez vous enrichir en France en y donnant des concerts. Ah ! voilà bien une idée styrienne. Allons, c’est à moi de parler maintenant, écoutez : En France d’abord… attendez un peu, je suis tout essoufflé ; en France, quiconque donne un concert est frappé par la loi d’un impôt. Saviez-vous cela ?

— Sacrement !

— Il y a des gens dont l’état est de percevoir (c’est-à-dire de prendre) le huitième de la recette brute de tous les concerts, et la latitude même leur est laissée d’en prendre le quart si cela leur convient… Ainsi, vous venez à Paris, vous organisez à vos risques et périls une soirée ou une matinée musicale ; vous avez à payer la salle, l’éclairage, le chauffage, les affiches, le copiste, les musiciens. Comme vous n’êtes pas connu, vous devez vous estimer heureux de faire 800 fr. de recette ; vous avez, au minimum, 600 fr. de frais ; il devrait vous rester 200 fr. de bénéfice ; pourtant il ne vous restera rien. Le percepteur s’arrange de vos 200 fr. que la loi lui donne, les empoche et vous salue ; car il est très-poli. Si, comme cela est plus probable, vous ne faites que tout juste les 600 fr. nécessaires pour les frais, le percepteur n’en perçoit pas moins son huitième sur cette somme, et vous êtes de cette façon puni d’une amende de 75 fr. pour avoir eu l’insolence de vouloir