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les soirées de l’orchestre.

harpe me refusait. C’était bien pis quand je voulais trouver de ces sons soutenus, gémissants et doux, que recherche la rêverie et qui la font naître ; la harpe se montrait là plus impuissante encore.

Dans l’impossibilité d’en rien tirer de pareil, un jour où j’improvisais plus mélancoliquement que de coutume, je cessai de chanter, et découragé, je demeurai en silence, couché sur la bruyère, la tête appuyée sur mon instrument imparfait. Au bout de quelques instants, une harmonie bizarre, mais douce, voilée, mystérieuse comme l’écho des cantiques du paradis, sembla poindre à mon oreille… J’écoutai tout ravi… et je remarquai que cette harmonie, qui s’exhalait de ma harpe, sans que les cordes parussent vibrer, croissait en richesse et en puissance, ou diminuait, selon le degré de force du vent. C’était le vent, en effet, qui produisait ces accords extraordinaires dont je n’avais jamais entendu parler !

— Vous ne connaissiez pas les harpes éoliennes ?

— Non, monsieur. Je crus avoir fait une découverte réelle, je me passionnai pour elle, et dès ce moment, au lieu de m’exercer au mécanisme de mon instrument, je ne fis que me livrer à des expériences qui m’absorbèrent tout entier. J’essayai vingt façons différentes de l’accorder pour éviter la confusion produite par la vibration de tant de cordes diverses, et j’en vins enfin, après bien des recherches, à en accorder le plus grand nombre possible à l’unisson et à l’octave, en supprimant toutes les autres. Alors seulement j’obtins des séries d’accords vraiment magiques qui réalisèrent mon idéal ; harmonies célestes, sur lesquelles je chantais des hymnes sans fin, qui tantôt me transportaient en des palais de cristal, au milieu de millions d’anges, aux ailes blanches, couronnés d’étoiles, et chantant avec moi dans une langue inconnue ; tantôt, me plongeant dans une tristesse profonde, me faisaient voir au milieu des nuages de pâles jeunes filles aux yeux bleus, vêtues de leur longue chevelure blonde, plus belles que les Séraphins, qui souriaient en versant des larmes, et laissaient échapper d’harmonieux gémissements emportés avec elles par l’orage jusqu’aux extrémités de l’horizon ; tantôt je m’i-