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mais elle refusa encore. Son père indigné voulait lui casser un bras ; je l’en détournai à grand’peine. Mes deux autres femmes s’en mêlèrent à leur tour et tentèrent de combattre son obstination.

La jalousie est ridicule dans la Nouvelle-Zélande, et mes femmes n’étaient point ridicules.

Rien n’y fit.

Alors, ma foi, le spleen s’empara de moi. Je cessai de manger, de fumer, de dormir. Je ne chassai plus, je ne disais plus un mot à Moïanga, ni à Méré ; les pauvres filles pleuraient, je n’y prenais pas garde ; et j’allais me tirer un coup de fusil dans l’oreille, quand j’eus l’idée d’offrir à Tatéa un baril de tabac que je portais toujours attaché sur mon dos.

C’était cela ! ! ! et je ne l’avais pas deviné ! ! !

Le plus consolant des sourires accueillit ma nouvelle offrande ; on me tendit la main, et en la touchant, je crus sentir mon cœur fondre, comme fond un morceau de plomb dans un feu de forge. Le cadeau de noces était accepté. Méré et Moïanga coururent, pleines de joie, annoncer à Emaï la bonne nouvelle ; et Tatéa, ravie de posséder le précieux baril qu’elle s’était obstinée par coquetterie à ne pas demander, dénoua enfin sa chevelure et m’entraîna palpitant vers le champ de phormium…

Ah ! mon cher, ne me parlez pas de nos Européennes !…

Au coucher du soleil, mes deux petites premières, ma reine Tatéa et moi, nous fîmes au coin d’un bois le plus délirant souper de famille, avec des racines de fougère, des kopanas (pommes de terre), un beau poisson, un guana (grand lézard) et trois canards sauvages, cuits les uns et les autres au four, entre des pierres rougies, selon la méthode des naturels, et arrosés de quelques verres d’eau-de-vie qui me restaient.

On m’eût proposé, ce soir-là, de me transporter en Chine, dans le palais de porcelaine de l’Empereur, et de me donner la céleste princesse, sa fille, pour épouse, avec cent mandarins décorés du bouton de cristal pour me servir, que j’aurais refusé.