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Londres et dans les colonies des Indes et de l’Australie. Il a ensuite renoncé au violon pour se livrer à l’enseignement du piano, instrument qu’il possède parfaitement, et à la composition. C’est un excellent Excentric man, flegmatique en apparence comme certains Anglais, téméraire et violent au fond comme un Américain. Nous avons passé ensemble, à Londres, bien des demi-nuits autour d’un bol de punch, occupés, lui à me raconter ses bizarres aventures, moi à les écouter avidement. Il a enlevé des femmes, il a compté plusieurs duels malheureux pour ses adversaires, il a été sauvage… Oui, sauvage, ou à peu près, pendant six mois. Et voici en quels termes je l’ai entendu me narrer, avec son flegme habituel, cet étrange épisode de sa vie :

« J’étais à Sydney (Wallace dit : J’étais à Sydney, — ou bien : Je vais à Calcutta, — comme nous disons à Paris : Je pars pour Versailles — ou : Je reviens de Rouen), j’étais à Sydney, en Australie, quand un commandant de frégate anglais, de ma connaissance, m’ayant rencontré sur le port, me proposa, entre deux cigares, de l’accompagner à la Nouvelle-Zélande. — Qu’allez-vous faire là ? lui dis-je. — Je vais châtier les habitants d’une baie de Tavaï-Pounamou, les plus féroces des Néo-Zélandais, qui se sont permis, l’an dernier, de piller un de nos baleiniers et de manger son équipage. Venez avec moi, la traversée n’est pas longue et l’expédition sera amusante. — Je vous suivrai volontiers. Quand partons-nous ? — Demain. — C’est convenu, je suis des vôtres. — Le lendemain nous mîmes à la voile, en effet, et le voyage se fit rapidement. Arrivés en vue de la Nouvelle-Zélande, notre commandant, qui avait cinglé droit sur sa baie, ordonne de mettre le navire en désarroi, de déchirer quelques voiles, de briser deux ou trois vergues, de fermer les sabords, de masquer soigneusement nos canons, de cacher les soldats et les trois quarts de l’équipage dans l’entrepont, de donner enfin à notre frégate l’air d’un pauvre diable de navire à moitié désemparé par la tempête et ne gouvernant plus.

Dès que les Zélandais nous eurent aperçus, leur méfiance