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prédilections et ces habitudes ont amenés dans l’exercice du plus libre des arts, et la compression qu’elles exercent fatalement sur lui.

Quoique Français, Monsieur, je dois beaucoup à la France ; d’après vous, il me serait donc imposé de trouver bonne toute la musique qu’elle produit. Ce serait fort grave, car on en fait, en France, presque autant de mauvaise que chez vous. Je dois beaucoup aussi à la Prusse, à l’Autriche, à la Bohême, à la Russie, à l’Angleterre ; je suis criblé de dettes semblables, contractées un peu partout. Il me faut donc déclarer que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, et m’écrier : « Vous êtes tous sublimes, embrassons-nous ! » sans ajouter : « Et que cela finisse ! »

Vous prétendez enfin qu’à l’égard de toutes les nations dont un seul homme même aurait bien voulu me reconnaître quelque mérite, je dois ne plus tenir compte de ma conscience d’artiste et jouer, en tout état de cause, une sotte comédie d’admiration.

Paganini, Monsieur, qui n’était point de votre avis, m’eût méprisé, si j’en eusse été capable. Je sais fort bien, en outre, ce qu’il pensait des mœurs musicales de son pays, quoiqu’il ne se soit jamais trouvé, fort heureusement pour lui et peut-être pour vous, dans le cas d’exprimer par écrit son opinion à ce sujet. Je tremble de vous laisser soupçonner ce qu’en pensaient également Cherubini et Spontini, dont vous revendiquez maintenant comme vôtres la célébrité et les œuvres, bien que l’Italie ne se soit guère souciée de l’une ni des autres. Paganini, Spontini et Cherubini furent donc, eux aussi, et plus que moi, des monstres d’ingratitude ; car si le reste de l’Europe, en leur donnant à parcourir une carrière plus vaste que celle imposée à ses musiciens par l’Italie, a forcé leur génie de prendre un vol plus puissant et plus fier, et les a comblés ensuite d’or, d’honneurs et de gloire, l’Italie leur donna.... naissance, et ce présent, peu coûteux, a bien son prix. D’ailleurs, remarquez, je vous prie, que Paganini n’est point l’Italie, pas plus que je ne suis la France. Ces deux pays, dont vous glorifiez justement l’un, en flagellant l’autre outre