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croyait qu’une interrogation, par exemple, ne peut se chanter sur la même disposition de notes qu’une affirmation ; il croyait que pour certains élans du cœur humain il y a des accents mélodiques spéciaux qui seuls les expriment dans toute leur vérité, et qu’il faut à tout prix trouver, sous peine d’être faux, inexpressif, froid, et de ne point atteindre le but suprême de l’art. Il ne doutait point non plus que, pour la musique vraiment dramatique, quand l’intérêt d’une situation mérite de tels sacrifices, entre un joli effet musical étranger à l’accent scénique ou au caractère des personnages, et une série d’accents vrais, mais non provocateurs d’un frivole plaisir, il n’y a point à hésiter. Il était persuadé que l’expression musicale est une fleur suave, délicate et rare, d’un parfum exquis, qui ne fleurit point sans culture et qu’on flétrit d’un souffle ; qu’elle ne réside pas dans la mélodie seulement, mais que tout concourt à la faire naître ou à la détruire : la mélodie, l’harmonie, les modulations, le rhythme, l’instrumentation, le choix des registres graves ou aigus des voix et des instruments, le degré de vitesse ou de lenteur de l’exécution, et les diverses nuances de force dans l’émission du son. Il savait qu’on peut se montrer musicien savant ou brillant et être entièrement dépourvu du sentiment de l’expression ; qu’on peut posséder, au contraire, au plus haut degré ce sentiment et n’avoir qu’une valeur musicale fort médiocre ; que les vrais maîtres de l’art dramatique ont toujours été doués plus ou moins de qualités très-musicales unies au sentiment de l’expression.

Méhul n’était imbu d’aucun des préjugés de quelques-uns de ses contemporains, à l’égard de certains moyens de l’art qu’il employait habilement lorsqu’il les jugeait convenables, et que les routiniers veulent proscrire en tout cas. Il était donc réellement et tout à fait de l’école de Gluck ; mais son style, plus châtié, plus poli, plus académique que celui du maître allemand, était aussi bien moins grandiose, moins saisissant, moins âpre au cœur ; on y trouve bien moins de ces éclairs immenses qui illuminent les profondeurs de l’âme. Puis, si j’ose l’avouer, Méhul me semble un peu sobre