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l’engagea à venir chez lui le chercher, désireux qu’il était, disait-il, lui, Gluck, de faire la connaissance de Méhul. Vous devinez le reste et concevez l’influence que les conseils d’un tel homme durent exercer sur le talent de son protégé ; car ce Gluck, je vous le répète, fut réellement un compositeur d’un grand mérite, et chevalier qui plus est, et très-riche, ce qui doit pour vous, prouver surabondamment sa valeur.

On ne passerait guère aujourd’hui plus de deux heures dans une loge, sans boire ni manger, pour entendre un chef-d’œuvre. C’est, sans doute, qu’autrefois les chefs-d’œuvre étaient rares, ou qu’il y a peu de Méhul maintenant. Quant au monseigneur, il est tout à fait tombé en désuétude. En parlant à un compositeur illustre, on dit plutôt mon vieux. Il est vrai que seigneur vient de senior, comparatif du mot latin senex (vieux) ; de là les expressions mon aîné, mon ancien, mon senior, mon vieux. Le respect est tout aussi profond, il est seulement exprimé d’autre sorte.

Ce fut sous la direction de Gluck que Méhul écrivit alors, sans avoir l’intention de les faire jamais représenter, et comme études seulement, trois opéras : Psyché, Anacréon et Lausus et Lydie. Aujourd’hui, quand on a écrit trois romances, avec l’intention de les publier, on commence à se croire des droits incontestables à l’attention des directeurs des théâtres lyriques.

Méhul avait vingt ans quand il présenta au comité d’examen de l’Opéra une partition sérieuse : Alonzo et Cora. Les Incas de Marmontel avaient sans doute fourni le sujet du poëme. Cora fut reçue, mais non jouée ; et quand au bout de six ans le jeune compositeur vit qu’il n’était pas plus avancé de ce côté que le premier jour, il s’adressa à l’Opéra-Comique et lui porta un opéra de genre en trois actes, Euphrosine et Coradin, dont, si je ne me trompe, Hoffmann avait écrit la pièce, et qui valut à Méhul, pour son début, un éclatant succès. Ce fut un bonheur pour lui de n’avoir pu obtenir la mise en scène de son premier opéra ; car, lorsqu’après le triomphe d’Euphrosine, l’Académie royale de Musique se décida enfin à représenter Cora, qu’elle avait depuis si