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disent plus : Un tel, tout court, comme pour les compositeurs qui leur sont agréables, mais : Monsieur un tel. Ceux-là sont des amis, celui-ci est un supérieur. Non, il ne faut ni attaquer ni railler ce public, la perle des publics, toujours content, toujours joyeux, incapable de blâmer quoi que ce soit à l’Opéra-Comique, redemandant à chaque première représentation tous les acteurs, tous les auteurs, à moins qu’ils ne soient morts (et encore…) ; public inoffensif et inoffensable, qui prend son plaisir où il le trouve et même où il ne le trouve pas. Ce qui me semble impardonnable, c’est l’ignorance des jeunes musiciens, ou tout au moins des jeunes gens qui cherchent à se faire admettre pour tels. Il y a de leur part une haute imprudence à ne pas s’informer un peu des choses passées de l’art ; car ils doivent supposer que, parmi les gens du monde avec lesquels ils ont ou auront des relations, plusieurs sont assez bien instruits de ce qu’ils ignorent, et que ces érudits ne se feront pas faute de les humilier dans l’occasion. Il ne leur en coûterait pas beaucoup plus d’apprendre le nom des œuvres des grands maîtres (je ne vais pas jusqu’à leur demander de connaître les œuvres elles-mêmes) que de se gorger la mémoire de tant de noms honteux, de l’exercer à retenir ce qui se passe journellement dans les tripots dramatiques, et de se la salir par tant de vilenies, au milieu desquelles ils vivent et meurent parce qu’ils y sont nés. On ne verrait plus alors, comme nous le voyons, des professeurs, des lauréats couronnés et pensionnés, attribuer le Mariage de Figaro à Rossini, appeler Gluck l’auteur de Didon, croire que Piccini était un chef d’orchestre de la Porte-Saint-Martin, savoir par cœur, chanter ou faire chanter à leurs élèves tous les produits de la basse musique contemporaine, et ne pas connaître huit mesures des chefs-d’œuvre qui firent dans l’Europe entière, qui font et qui feront toujours partout la vraie gloire de l’art.

Je m’abstiens d’entrer ici dans les considérations auxquelles un semblable état de choses pourrait donner lieu ; elles m’entraîneraient trop loin. Je dirai seulement, sans remonter aux