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qu’il a exaltés jusqu’au délire ; ces humoristes qu’il a divertis par tant de caprices spirituels et imprévus ; ces penseurs pour qui il a ouvert des champs incommensurables à la rêverie ; ces amants qu’il a émus en éveillant le souvenir des premiers jours de leur tendresse ; ces cœurs serrés par la main d’une destinée injuste, auxquels ses accents énergiques ont donné la force d’une révolte momentanée, et qui, se soulevant indignés, ont trouvé une voix pour mêler leurs cris de rage et de douleur aux accents furieux de son orchestre ; ces esprits religieux auxquels il a parlé de Dieu ; ces admirateurs de la nature, pour qui il a peint de couleurs si vraies la vie nonchalante et contemplative des champs aux beaux jours de l’été, les joies du village, les terreurs causées par l’ouragan, et le rayon consolateur revenant au travers des lambeaux des nuées sourire au pâtre inquiet et rendre l’espérance au laboureur épouvanté ; c’est maintenant que toutes ces âmes intelligentes et sensibles, sur lesquelles rayonna son génie, tendent vers lui comme vers un bienfaiteur et un ami. Mais il est bien tard ; ce Beethoven de bronze est insensible à tant d’hommages, et il est triste de penser que Beethoven vivant, dont on honore ainsi la mémoire, n’eût peut-être pas obtenu de sa ville natale, aux jours de souffrance et de dénûment, qui furent nombreux durant sa pénible carrière, la dix-millième partie des sommes prodiguées pour lui après sa mort.

Néanmoins il est beau de glorifier ainsi les demi-dieux qui ne sont plus, il est beau de ne pas les faire trop attendre, et il faut remercier la ville de Bonn, et Liszt surtout, d’avoir compris que le jugement de la postérité était prononcé sur Beethoven depuis longtemps.

Un immense et dernier concert nous était annoncé pour la journée suivante, à neuf heures du matin ; il fallait donc s’y rendre à huit heures et demie. Le départ des rois et des reines, qui devaient y assister et retourner au château de Brühl dans la journée, avait, dit-on, motivé le choix de cette heure indue. La salle était pleine bien avant le moment désigné ; mais LL. MM. n’arrivaient pas. On les a attendues respectueusement pendant une heure, après quoi force a bien été