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qu’obtenait sans doute Sophocle, lisant ses tragédies aux jeux Olympiques. Je demande pardon à M. Breidenstein de le comparer au poëte grec, mais le fait est que ses voisins seuls ont pu l’entendre, et que pour les neuf cent quatre-vingt-dix-neuf millièmes des auditeurs son discours a été perdu. Il en a été à peu près de même pour sa cantate ; si l’atmosphère eût été calme, je n’eusse pas, à coup sûr, saisi grand’chose de cette composition : on connaît l’impuissance de la musique vocale en plein air ; mais le vent soufflait avec force sur les choristes, et ma part de l’harmonie de M. Breidenstein a été injustement portée tout entière aux spectateurs de l’autre bout de la place, qui l’ont trouvée encore, les gloutons, fort exiguë. Un pareil sort était réservé à la chanson allemande, chanson mise au concours et couronnée par un jury qui probablement l’avait entendue.

Comment les auteurs de ces morceaux ont-ils pu se faire un instant illusion sur l’accueil qui les attendait ? Une partition qu’on n’exécute pas peut encore passer pour admirable ; il y a des gens dont c’est l’état de faire aux œuvres inconnues une réputation ; mais celle qu’on présente au public en plein air, ne produisant nécessairement aucun effet, est toujours réputée médiocre et reste sous le coup de cette prévention jusqu’à ce qu’une exécution convenable, à huis clos, permette au public d’infirmer, s’il y a lieu, ce premier jugement. Les conversations très-animées des auditeurs qui n’entendaient pas, cessant subitement, ont annoncé le fin des discours et des cantates ; alors chacun est devenu attentif pour voir enlever le voile qui couvrait la statue. Lorsqu’elle a paru, applaudissements, vivais, fanfares de trompettes, roulements de tambours, feux de pelotons, volées de canons et de cloches, tout ce fracas admiratif, qui est la voix de la gloire chez les nations civilisées, a éclaté de nouveau et salué l’image du grand compositeur.

C’est aujourd’hui que ces milliers d’hommes et de femmes jeunes ou vieux, à qui ses œuvres ont fait passer tant de douces heures, qu’il a si souvent enlevés sur les ailes de sa pensée aux plus hautes régions de la poésie ; ces enthousiastes