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inspirations est un malheur inévitable. Encore, est-ce même un malheur ?.... j’en doute. Il faut peut-être que de telles œuvres restent inaccessibles à la foule. Il y a des talents pleins de charme, d’éclat et de puissance, destinés, sinon au bas peuple, au moins au tiers état des intelligences : les génies de luxe, tels que celui de Beethoven, furent créés par Dieu pour les cœurs et les esprits souverains.

Il sentait bien lui-même et sa force et la grandeur de sa mission ; les boutades qui lui sont échappées en mainte circonstance ne laissent aucun doute à cet égard. Un jour que son élève Ries osait lui faire remarquer dans une de ses nouvelles œuvres une progression harmonique déclarée fautive par les théoriciens, Beethoven répliqua : « Qui est-ce qui défend cela ? — Qui ? Hé, mais Fuchs, Albrechtsberger, tous les professeurs. — Eh bien, moi, je le permets. » Une autre fois il dit naïvement : « Je suis de nature électrique, c’est pourquoi ma musique est si admirable ! »

La célèbre Bettina rapporte dans sa correspondance que Beethoven lui dit un jour : « Je n’ai pas d’amis ; je suis seul avec moi-même ; mais je sais que Dieu est plus proche de moi dans mon art que dans les autres. Je ne crains rien pour ma musique ; elle ne peut avoir de destinée contraire, celui qui la sentira pleinement sera à tout jamais délivré des misères que les autres hommes traînent après eux. »

M. de Lenz, en rapportant les singularités de Beethoven dans ses relations sociales, dit qu’il ne fut pas toujours aussi sauvage que dans les dernières années de sa vie ; qu’il lui arriva même de figurer dans des bals, et qu’il n’y dansait pas en mesure. Ceci me paraît fort, et je me permettrai de ne point le croire. Beethoven posséda au plus haut degré le sentiment du rhythme, ses œuvres en font foi ; et si on a réellement dit qu’il ne dansait pas en mesure, c’est qu’on aura trouvé piquant de faire après coup cette puérile observation, et de la consigner comme une anomalie curieuse. On a vu des gens prétendre que Newton ne savait pas l’arithmétique, et refuser la bravoure à Napoléon.

Il paraît pourtant, à en croire un grand nombre de