Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/352

Cette page n’a pas encore été corrigée

Europe, est due principalement aux fâcheuses alliances qu’elle s’est laissé imposer, et aux préjugés qui la poussent et la repoussent en sens contraires. C’est la Cassandre de Virgile, la vierge inspirée que se disputent Grecs et Troyens, dont les paroles prophétiques ne sont point écoutées et qui lève au ciel ses yeux, ses yeux seuls, car ses mains sont retenues par des chaînes. Beaucoup de choses tristes et vraies ont été dites à ce sujet à nos dernières soirées de l’orchestre, pendant ce que Schmidt appelle vos nocturnes labeurs. Permettez-moi de les résumer ici.

»De son alliance avec le théâtre, alliance qui a produit et pourrait produire encore de si magnifiques résultats, sont nés pour la musique l’esclavage et la honte, et tous les genres d’avilissement. Vous le savez, messieurs, ce n’est plus seulement avec ses sœurs, la poésie dramatique et la danse, qu’elle doit au théâtre s’unir aujourd’hui, mais bien avec une multitude d’arts inférieurs groupés autour d’elle pour exciter une curiosité puérile et détourner l’attention de la foule de son véritable objet. Les directeurs des grands théâtres, dits lyriques, ayant remarqué que les œuvres énormes avaient seules le privilége de faire d’énormes recettes, n’ont plus attaché de prix qu’aux compositions d’une longueur démesurée. Mais, persuadés aussi, et avec raison, que l’attention du public, si robuste qu’on la suppose, ne peut être tenue éveillée pendant cinq heures par la musique et le drame seuls, ils ont introduit dans leurs opéras en cinq et six actes, tout ce que l’imagination la plus active a pu inventer de fracas et d’éblouissements pour la surexcitation brutale des sens.

»Le mérite du directeur d’un grand théâtre lyrique consiste maintenant dans le plus ou moins d’habileté qu’il met à faire supporter la musique au public, quand cette musique est belle, et à empêcher ce même public de la remarquer, quand elle ne vaut rien.

»A côté de ce système des spéculateurs, nous devons placer les prétentions des artistes chantants qui visent, eux aussi, à l’argent par tous les moyens. Car la maladie étrange qui semble s’être emparée du peuple entier des chanteurs de théâtre