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Shetland cependant joue toujours, oubliant la fête et les danses, quand Xilef, l’œil hagard, l’arrache du clavier, et, l’entraînant vers le pavillon qui vient de se rouvrir en laissant retomber sur les dalles ce charnier fumant où ne se distinguent plus de formes humaines : « Viens maintenant, viens, malheureux, viens voir ce qui reste de ton infâme Nadira qui fut mon infâme Mina, ce qui reste de son exécrable mère, ce qui reste de ses dix-huit amants ! Dis si justice est bien faite, regarde ! » A ce coup d’œil d’une horreur infinie, à cet aspect que les vengeances divines épargnèrent aux damnés du septième cercle, Shetland s’affaisse sur lui-même. En se relevant, il rit, il court éperdu au travers du jardin, chantant, appelant Nadira, cueillant des fleurs pour elle, gambadant : il est fou.

Xilef s’était calmé au contraire, il avait repris tout d’un coup son sang-froid : « Pauvre Shetland ! il est heureux, dit-il. Maintenant je crois que je n’ai plus rien à faire, et qu’il m’est permis de me reposer. Othello’s occupation’s gone ! » Et respirant un flacon de cyanogène qui ne le quittait jamais, il tomba foudroyé.

Six mois après cette catastrophe, Euphonia encore en deuil était vouée au silence. L’orgue de la tour élevait seule au ciel d’heure en heure une lente harmonie dissonnante, comme un cri de douleur épouvantée.

Shetland était mort deux jours après Xilef, sans avoir retrouvé sa raison un seul instant ; et aux funérailles des deux amis, dont la terrible fin demeura, comme tout le reste de ce drame, incompréhensible pour la ville entière, la consternation publique fut telle, que non-seulement les chants, mais même les bruits funèbres furent interdits.

Corsino roule son manuscrit, et sort.

.....Après quelques minutes de silence, les musiciens se lèvent. Le chef d’orchestre, invité par eux au banquet d’adieux qu’ils veulent me donner, les salue en passant et leur