Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/345

Cette page n’a pas encore été corrigée

clameurs et pouvaient seuls en dérober le caractère.

Au moment où Xilef avait pressé le ressort destiné à faire mouvoir le mécanisme secret du pavillon, les parois d’acier de ce petit édifice de forme ronde avaient commencé à se rouler sur elles-mêmes lentement et sans bruit ; de sorte que les danseurs voyant l’espace où ils s’agitaient moins grand qu’auparavant, crurent d’abord que leur nombre s’était accru. Nadira étonnée s’écria : « Quels sont donc les nouveaux venus ? évidemment nous sommes plus nombreux, on n’y tient plus, on va étouffer, il semble même que les fenêtres plus étroites donnent maintenant moins d’air ! » — Et madame Happer, rouge et pâle successivement : « Mon Dieu, messieurs, qu’est-ce que cela ! emportez-moi hors d’ici ! ouvrez, ouvrez ! » Mais au lieu de s’ouvrir, le pavillon se roulant sur lui-même par un mouvement qui s’accélère tout à coup, les portes et les fenêtres sont à l’instant masquées par une muraille de fer. L’espace intérieur se rétrécit rapidement ; les cris redoublent ; ceux de Nadira surtout dominent ; et la belle cantatrice, la poétique fée se sentant pressée de toutes parts, repousse ceux qui l’entourent avec des gestes et des paroles d’une horrible brutalité, sa basse nature dévoilée par la peur de la mort se montrant alors dans toute sa laideur. Et Xilef qui a quitté Shetland pour voir de près cet infernal spectacle, Xilef pantelant comme un tigre qui lèche sa proie abattue, tourne autour du pavillon en criant de toute sa force : « Eh bien ! Mina, qu’as-tu donc, chère belle, à t’emporter de la sorte ? ton corset d’acier te serrait-il trop ? prie un de ces messieurs de le délacer, ils en ont l’habitude ! Et ton hippopotame de mère, comment se trouve-t-elle ? je n’entends plus sa douce voix ! » En effet, aux cris d’horreur et d’angoisse, sous l’étreinte toujours plus vive des cloisons d’acier, vient de succéder un bruit hideux de chairs froissées, un craquement d’os qui se brisent, de crânes qui éclatent ; les yeux jaillissent hors des orbites, des jets d’un sang écumant se font jour au-dessous du toit du pavillon ; jusqu’à ce que l’atroce machine s’arrête épuisée sur cette boue sanglante qui ne résiste plus.