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méfiance, leur fit le plus cordial accueil ; mais il se sentait dominé par un sentiment de tristesse singulier en pareille circonstance, et s’approchant de Nadira : « Que tu es belle ! chère, lui dit-il avec extase. Pourquoi ce soir suis-je donc triste ? je devrais être si heureux ! Il me semble que je touche à quelque grand malheur, à quelque affreux événement… C’est toi, méchante péri, dont la beauté me trouble et m’agite ainsi jusqu’au vertige. — Allons, vous êtes fou, trêve de visions ! Vous feriez mieux d’aller vous mettre au piano, le bal au moins pourrait commencer. — Oui, sans doute, ajouta Xilef, la belle Nadira a raison comme toujours, au piano ! chacun brûle ici d’en venir aux mains. » Bientôt les accents d’une valse entraînante retentissent dans le jardin, les groupes de danseurs se forment et tourbillonnent. Xilef, debout, la main sur un bouton d’acier placé dans la paroi extérieure du pavillon, les suit de l’œil. Quelque chose d’étrange semble se passer en lui ; ses lèvres sont pâles, ses yeux se voilent ; il porte de temps en temps une main sur son cœur comme pour en contenir les rudes battements. Il hésite encore. Mais il entend Nadira, passant près de lui au bras de son valseur, jeter à celui-ci ces mots rapides : « Non, ce soir, impossible, ne m’attends que demain. » La rage de Xilef, à cette nouvelle preuve de l’impudeur de Nadira, ne se peut contenir, il appuie de tout son poids sur le bouton d’acier en disant : « Demain ! misérables, il n’y a plus de demain pour vous ! » et court à Shetland, qui, tout entier à ses inspirations, inondait la villa et le jardin d’harmonies tantôt douces et tendres, tantôt d’un caractère farouche et désespéré. « Allons donc, Shetland, lui crie-t-il, tu t’endors, on se plaint de la lenteur de ton mouvement. Plus vite ! plus vite ! les valseurs sont très-animés ! à la bonne heure ! Oh ! la belle phrase, l’étonnante harmonie ! quelle pédale menaçante ! comme il grince et gémit ce thème dans le mode mineur ! on dirait d’un chant de furies ! tu es poëte, tu es devin. Entends leurs cris de joie : oh ! ta Nadira est bien heureuse ! » Des cris affreux partaient en effet du pavillon ; mais Shetland, toujours plus exalté, tirait du piano-orchestre un orage de sons qui couvraient les