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semblant de douleur résignée, et enjoignit à sa mère d’imiter sa réserve à l’égard de Xilef, qui paraissait vouloir oublier un secret qu’elles et lui connaissaient seuls à Euphonia.

Pour rendre cette situation moins dangereuse, Xilef, sortant rarement, en apparence, de la retraite qu’il avait choisie, ne voulut voir son ami qu’à certains intervalles peu rapprochés ; s’accusant lui-même d’une sauvagerie que d’incurables chagrins pouvaient faire excuser. Mais caché sous divers déguisements, et avec la prudence cauteleuse du chat dans ses expéditions nocturnes, il épiait les démarches de Nadira, la suivait dans ses plus secrets rendez-vous, il parvint ainsi, au bout de quelques mois, à tenir le fil de toutes ses intrigues et à mesurer l’étendue de son infamie. Dès lors, le dénoûment du drame fut arrêté dans son esprit. Shetland devait être arraché à tout prix à une existence ainsi souillée et déshonorée ; sa mort même dût-elle être la suite de son désillusionnement, il fallait que le grand amour, l’amour noble et enthousiaste, le plus sublime sentiment du cœur humain, qui avait embrasé deux artistes éminents pour une si indigne créature, fût vengé, et vengé d’une manière terrible, effroyable, à nulle autre pareille. Et voici comment Xilef sut remplir ce devoir.

Il y avait alors à Euphonia un célèbre mécanicien dont les travaux faisaient l’étonnement général. Il venait de terminer un piano gigantesque dont les sons variés étaient si puissants que, sous les doigts d’un seul virtuose, il luttait sans désavantage avec un orchestre de cent musiciens. De là le nom de piano-orchestre qu’on lui avait donné. Le jour de la fête de Nadira approchait ; Xilef persuada sans peine à son ami qu’un présent magnifique à faire à sa belle aimée, serait le nouvel instrument dont chacun s’entretenait avec admiration. « Mais si tu veux compléter sa joie, ajouta-t-il, joins-y le délicieux pavillon d’acier que le même artiste vient de construire, et dont l’élégance originale ne saurait se comparer à rien de ce que nous connaissons en ce genre. Ce sera un revissant boudoir d’été, aéré, frais, sans prix dans notre saison brûlante ; tu pourras même l’inaugurer en y donnant un bal