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public, et quand il se reconnaît maître absolu de cet immense instrument intelligent, quand il est sûr qu’il n’y a plus qu’à lui communiquer les nuances vitales du mouvement, qu’il sent et peut donner mieux que personne, le moment est venu pour lui de se faire aussi exécutant, et il monte au pupitre-chef pour diriger. Un diapason fixé à chaque pupitre permet à tous les instrumentistes de s’accorder sans bruit avant et pendant l’exécution ; les préludes, les moindres bruissements d’orchestre sont rigoureusement prohibés. Un ingénieux mécanisme qu’on eût trouvé cinq ou six siècles plus tôt, si on s’était donné la peine de le chercher, et qui subit l’impulsion des mouvements du chef sans être visible au public, marque, devant les yeux de chaque exécutant et tout près de lui, les temps de la mesure, en indiquant aussi d’une façon précise les divers degrés de forte ou de piano. De cette façon, les exécutants reçoivent immédiatement et instantanément la communication du sentiment de celui qui les dirige, y obéissent aussi rapidement que font les marteaux d’un piano sous la main qui presse les touches, et le maître peut dire alors qu’il joue de l’orchestre en toute vérité.

Des chaires de philosophie musicale occupées par les plus savants hommes de l’époque, servent à répandre parmi les Euphoniens de saines idées sur l’importance et la destination de l’art, la connaissance des lois sur lesquelles est basée son existence, et des notions historiques exactes sur les révolutions qu’il a subies. C’est à l’un de ces professeurs qu’est due l’institution singulière des concerts de mauvaise musique où les Euphoniens vont, à certaines époques de l’année, entendre les monstruosités admirées pendant des siècles dans toute l’Europe, dont la production même était enseignée dans les Conservatoires d’Allemagne, de France et d’Italie, et qu’ils viennent étudier, eux, pour se rendre compte des défauts qu’on doit le plus soigneusement éviter. Telles sont la plupart des cavatines et finales de l’école italienne du commencement du xixe siècle, et les fugues vocalisées des compositions plus ou moins religieuses des époques antérieures au xxe. Les premières expériences faites par ce moyen sur cette