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m’a frappé plus que je ne croyais pouvoir être frappé d’aucune chose, et dont l’impression, par malheur, ne s’efface point.

Comme je respirais la fraîcheur du soir, après une longue répétition, mollement couché dans mon petit navire, et regardant, de la hauteur où je m’étais élevé, s’éteindre le jour, j’entends sortir d’un nuage, dont je longeais les contours, une voix de femme stridente, pure cependant, et dont l’agilité extraordinaire, dont les élans capricieux et les charmantes évolutions semblaient, en retentissant ainsi au milieu des airs, être le chant de quelque oiseau merveilleux et invisible. J’arrêtai soudain ma locomotive… Après quelques instants d’attente, au travers des vapeurs empourprées par le soleil couchant, je vis s’avancer un élégant ballon dont la marche rapide se dirigeait vers Euphonia ; une jeune femme était debout à l’avant du navire, appuyée, dans une pose ravissante, sur une harpe dont, par intervalles, elle effleurait les cordes avec sa main droite, étincelante de diamants. Elle n’était pas seule, car d’autres femmes passèrent plusieurs fois à l’intérieur devant les croisées du bord. Je crus d’abord que c’étaient quelques-unes de nos jeunes coryphées de la rue des Soprani, qui venaient, comme moi, de faire une promenade aérienne. Elle chantait, en l’ornant de toutes sortes de folles vocalises, le thème de ma première symphonie, qui n’est guère connue, pensais-je, que des Euphoniens. Mais bientôt, en examinant de plus près la charmante créature au brillant ramage, je dus reconnaître qu’elle n’était point des nôtres, et que jamais encore elle n’avait paru à Euphonia. Son regard, à la fois distrait et inspiré, m’étonna par la singularité de son expression, et je pensai tout de suite au malheur de l’homme qui aimerait une telle femme sans être aimé d’elle. Puis je n’y songeai plus… Les hautes cimes du Hartz me dérobaient déjà la vue du soleil à l’horizon ; je fis monter perpendiculairement mon navire de quelques centaines de pieds pour revoir l’astre fugitif, et je le contemplai quelques minutes encore, au milieu de ce silence extatique dont on n’a pas d’idée sur la terre. Enfin, las de rêver et d’être seul dans l’air, le vent d’ouest